Caught in the trunk | Topic libre

Pieds croisés sur ce qui lui sers de bureau, Jake potasse deux-trois dossiers avant de lâcher un soupire, exténué par la paperasse. Homme d’action, il supporte mal de rester enfermé entre quatre murs sans un goutte d’alcool dans le sang. Car oui, pour étudier et remplir ses papiers, l’homme aime autant reste sobre. Surprenant ? Quand on le connaît oui, mais il s’est déjà risqué à ne pas l’être et l’a très vite regretté en voyant nombres A4 mouillés de rhum, de whisky et de vin. Quand il termine, Jake découvre avec lassitude une affaire camouflée sous une pile de bouteilles vides. Il survole quelques lignes et son cerveau marque un temps d’arrêt. Sous ses yeux la demande d’un homme fortuné soupçonnant son collègue de travailler pour un concurrent. Jusqu’ici rien de très inhabituel, c’est en regardant le montant du devis qu’il claque sa main contre son front. Encore une chance qu’il s’en soit aperçu maintenant, passer à côté d’un nombre à autant de chiffres pour une simple histoire de trahison professionnelle serait du gâchis. Non pas qu’il soit à court d’argent ou accro aux billets verts. Simplement, l’homme se sait à court de rhum digne de ce nom. L’alcool, le vrai. Pas celui excessivement coupé à l’eau vendu dans les grandes surfaces et qui ne lui procure aucun plaisir gustatif. Non, du vrai, du local, du terroir...du cher. Alors il prend note des horaires de travail de sa cible, de la marque et couleur de son habitacle puis attrape quelques bouteilles pour le chemin.  

En route, il enchaîne les gorgées de whisky, frustré de ne pas avoir pu boire de toute la journée, il se rattrape sans contrôle si bien que très vite, l’alcool lui monte à la tête. L’Américain le tient bien d’ordinaire, mais la quantité comme la qualité ont eu raison de lui. Échappant à quelques probables accidents, il gare son pick-up sur le parking de ladite société. L’homme serait un certain Jerry P. Lopez, latino-américain de cinquante-quatre ans, voiture blanche immatriculée A55HOL3. Un vrai petit rigolo ce cinquantenaire ! Jake ricane et arpente le lieu à grandes enjambées. Il titube, manque de tomber sur le bitume mais se concentre. Devant lui trois rangées d’automobiles, seules deux blanches s’y trouvent. Le détective plisse les yeux mais son état étant ce qu’il est, il se rend vite compte qu’il lui est impossible de lire les plaques. Alors il soupire, hausse les épaules et décide de faire son choix au hasard.  

— Plouf-plouf, ce sera toi que je prendrais au bout de 3, 1 – 2 – 3.

Son index pointe la voiture la plus opposée à l’immeuble. Jake sourit, sous l’effet de l’alcool -ou de sa connerie naturelle, il ne s’inquiète pas de l’identité du propriétaire et, grâce à son talent inné, ouvre le coffre pour s’y installer et ainsi découvrir son lieu d'arrivé. Enfermé dans le noir, il entend le moteur tourner et sourit, l’horaire coïncide, il est peu probable qu’il se soit trompé. Sans inquiétude aucune, il attrape son téléphone, joue au solitaire et s’autorise à sortir sa flasque de whisky. Le trajet dure à peine un quart d’heure. Lorsque l’habitacle s’arrête, l’alcoolique tripote l’intérieur du coffre pour l’ouvrir. Lorsqu’il y parvient, une personne -visiblement à l’opposé de la description de sa cible, se pose devant lui, regard ahuri.  

—...Merde.

Presque innocemment, comme si l’erreur était anodine, Jake reste un temps sans répondre. Le jeune homme d’allure prépubère semble surpris et le plus vieux s’en persuade lorsque la porte du coffre se referme sur lui. Bien, visiblement il s’est trompé de caisse. Pire même, il a trouvé le moyen de se retrouver dans la caisse de ce qui semble être un adolescent. Blondinet au visage de bambin, difficile de faire pire. Sauf une mère de famille peut-être, celles-là sont les pires, elles vous imposent leur môme de trois ans, malodorant et bruyant, qui s’amuse à emmerder le monde. « The fuck... » Jake lui donne le droit de jurer, après tout, la situation est cocasse, bien que personnellement, il la trouve hilarante. « Qu'est-ce que tu branles dans ma caisse ?! » Il pouffe. Jake n’est certes pas le plus fins des hommes mais de là à se tromper de cible, il y a un fossé ! Lui qui est pourtant si professionnel d’ordinaire ! Lui qui ne rate jamais son coup –dans tous les sens du terme, que va-t-il se passer ?  

— D’abord on dit bonjour quand on est poli. S’exclame l’alcoolique à travers le coffre. J’suis détective, j’suis en filature. À la base tu devais être un latino-américain de 54 piges mais à la place j’tombe sur une réplique des Backstreet Boys, bordel de Dieu...

Après quelques petits coups sur l’intérieur du coffre, il parvient à l’ouvrir sans trop de difficulté. Facile pour un ancien commando me direz-vous. L’homme tente de descendre du coffre le plus dignement possible mais, par son fort taux d’alcoolémie, dégringole de l’habitacle pour se trouver à terre. La chute n’est pas douloureuse, pas même honteuse, Jake est trop bourré pour ça, non. Bien au contraire, il rit, se lève, tâtonne le coffre plusieurs fois pour se relever sans trop de difficulté avant de se pencher sur la plaque d’immatriculation. Il plisse les yeux, lit ce qui est gravé et pousse un grognement.

— Ah merde ouais, y a pas marqué connard.  

Le jeunot n’est donc pas aussi beauf que notre latino-américain. Devant la mine de son interlocuteur, le détective se pince les lèvres, à l’image d’un enfant récalcitrant. Peut-être lui pardonnera-t-il ainsi ? Peu probable mais qui ne tente rien, n’a rien ! C’est en analysant le gamin qu’il aperçoit une bouteille dans sa main. Les yeux écarquillés, il s’approche un peu plus et distingue l’absence de contenu liquide. Il lève alors les yeux au ciel.  

— Quel intérêt y a à garder une bouteille vide...Oh, tu voulais me frapper avec ? S’exclame-t-il. Ne t’en fais pas fiston, je viens en paix. Il lève les bras pour prouver la véracité de ses propos. Tiens regarde ma carte, j’mens pas, c’est vraiment mon job.  

La main dans la poche de son pantalon, Jake y empoigne un vieille carte professionnelle froissée. Il la dépose dans sa paume et profite de ce moment pour lui enlever sa bouteille. Elle n’a même plus l’odeur agréable de champagne, quel dommage. Lui qui se trouve bien sobre –bien à l’opposé de ce qu’il est en réalité, lui qui, face à ce gringalet, n’aurait pas dit non à un petit rosé histoire de supporter la vue d’un pseudo Justin Bieber.

— On repart à zéro. Moi c’est Jake. Owens...Jake Owens. Et toi p’tit ?  

« Backstreet Boys?! Je suis de la Cali, pas de la Floride, dumass. » Jake a visiblement touché un point sensible. Il faut dire que cela ne doit pas être évident tous les jours d'avoir une tête à la Justin Bieber prépubère. Une chance qu'il ait son permis, cela prouve au moins qu'il est âgé de seize ans ou plus.  « Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse d’autre ? » Il plisse les yeux, étudie sérieusement la question. Toute un panel d'idées lui viennent en tête, diverses raisons qui pourrait l'exempter de commettre un crime.

— Pour la recycler, niguedouille ! S'exclame-t-il. Ou la re-remplir...ce qui est pour moi la meilleure option. Il marque un temps de réflexion. Oh nan attends je sais ! Le jeu de la bouteille, ça fait ça les mioches, nan ?

Pas qu'il s'en intéresse, ce serait même plutôt le contraire. S'il y a bien un sujet qui l'ennuie profondément, c'est celui des mômes. Tout humain de moins de vingt ans est, à ses yeux, de véritables petits êtres démoniaques. Concernant le gamin devant lui, allez savoir s'il est réellement majeur...dans tous les cas il n'a rien d'un adulte, ni l'apparence, ni le comportement. Car oui, c'est peut-être l'hôpital qui se fout de la charité de dire ça, mais sa façon d'agir, de parler, est tout a fait immature. Qui s'emporterait aussi vite en découvrant un inconnu saoul dans son coffre ? Faut-il réellement réagir avec autant d'agressivité ? Encore un qu'il enverrai bien en stage à l'armée, tiens ! « Owens ? Tu serais pas parent avec Taser Girl par hasard ? » L'information met du temps avant de monter au cerveau du plus vieux, c'est après plusieurs secondes qu'il comprend que le présumé adolescent fait référence à Blair. Son surnom serait Taser girl ? Comme quoi, son sang de Owens domine celui de sa mère ! Lui qui était déjà fier d'avoir une fille aussi douée, aussi belle, qu'il ne pensait pas avoir plus de raisons de s'en vanter, est, à n'en point douter, d'autant plus honoré d'être son père.

— Taser girl hein...j'adore ce surnom ! Plaisante-t-il. Y a des chances qu'on soit de la même famille ouais. Il hausse les épaules. Elle a pas de quoi en être fière alors chuuut, c'est notre petit secret !

Il cligne l’œil, signe d'une complicité qui n'existe pourtant absolument pas.  « Tu sais que le mulot sous le nez c’est plus un trend depuis 1980 ? » Il rit, combien de fois a-t-on déjà fait référence à sa moustache, au juste ? À croire qu'on ne voit que ça chez lui ! Non pas qu'il en soit vexé non, il lui en faut plus pour l'être ! Seulement c'est l'incompréhension totale dans la tête de l'alcoolique. Pour quelle raison quelques poils sous le nez font autant débat ? Ne serait-ce plutôt pas ceux que l'on ne voit pas qui devraient être au cœur de l'intrigue ?

— Qui a dit qu'il fallait suivre la mode pour être élégant ? Il lève les yeux au ciel. Vous les jeunes et votre fichue manie des tendances, vraiment...

Irrécupérables. De véritables répliques identiques, même style vestimentaire, même coiffure, si la mode se résume à du ctrl + v alors grand Dieu non, il ne veut pas la suivre ! « Puis t’as pas l’air d’un détective…» Ah ça par contre, il ne peut pas lui en vouloir, sa remarque est tout à fait justifiée. Ce n'est, encore là, pas la première fois qu'il l'entend. Ce serait même fastidieux de compter le nombre de personnes qui le lui ont dit ! « Tu sais même pas lire. » Qui ne verrais pas flou avec une telle quantité d'alcool dans le sang ? D'ordinaire sa petite addiction n'empiète pas sur la qualité de son travail mais là, sans doute a-t-il bu trop vite, sans parler de la quantité, ça, c'est la routine. « T’as plus l’air d’avoir besoin d’être Uber dans ton meeting des AA, mec. » Il hausse les épaules.

— Bieber, si les AA pouvaient encore faire quelque chose pour moi, ça se saurait. Et c'est qui Hubert ? Cela ne fait que quelques mois qu'il débute dans l'art de manier un smartphone, mieux vaut ne pas trop lui en demander. Bref, je peux te donner une autre preuve si tu veux.

Le détective sort ledit smartphone de sa poche arrière, le déverrouille avant de googler son nom. Tout de suite, il tombe sur son entreprise, adresse, numéro de téléphone, tout. Il se penche alors à côté du blondinet, lui tend le téléphone avant d'afficher une mine fière.

— Voilà gamin. Y a même mon site avec ma tronche dessus. Bon y a quelques avis, faut pas que t'y fasse attention, hein. Il marque une pause, croise les bras, un sourire en coin. J'attends mes excuses.

« Je sais pas mec, j'ai lâché l'école à 15 ans et j'avais pas d'amis...» Non pas qu’il se reconnaisse en ce gamin -ce serait une insulte envers l’adolescent qu’il était, néanmoins Jake ne pouvait que comprendre partiellement ce qu’il ressentait. Lui avait arrêté ses études à 17 ans afin d’entrer dans l’armée pour pouvoir payer la pension alimentaire de sa fille qu’il n’avait pas voulu voir...trop jeune pour être père, trop jeune même pour se considérer en couple. Qui sait ce qu’il serait devenu si tout cela ne s’était pas passé ? Certainement un meilleur homme, un qui ne se cacherait pas dans le coffre d’un inconnu sous prétexte d’une filature. Mais le destin en a décidé autrement, c’était certainement ainsi que cela devait se passer. Sans doute est-il trop jeune pour s’en apercevoir mais ce doit également être le cas pour lui, une épreuve de la vie, qui n’en a pas eu ? Et des amis ? Combien d’adultes peuvent réellement proclamer avoir encore des rapports amicaux réguliers avec leurs anciens camarades de classe ? Est-ce obligatoire d’avoir des amis d’enfance pour être heureux ? Pour l’alcoolique, ces seuls réels amis, ceux qui sont toujours là pour lui lorsqu’il en a besoin, ce sont ses addictions...on a les potes qu’on mérite hein.

— Bah, comme on dit, mieux vaut être seul que...ouais nan c’est de la connerie, ton adolescence était à chier.  

Absolument pas gêné par ses propres paroles -que l’on pourrait considérer affreuses, Jake ne prend simplement aucunes pincettes lorsqu’il pense quelque chose, qu’il estime que son interlocuteur est capable d’entendre. Ou tout simplement pour l’emmerder, parce qu’il s’ennuie. Pour le coup il ne pensait pas à mal, juste, il faut savoir dire les choses telles qu’elles le sont, il ne suggère pas de réveiller une douleur enfouie mais d’être honnête et d’arrêter une bonne fois pour toutes les belles paroles d’encouragement totalement superficielles qui ne visent qu’à nourrir son propre égo, parce qu’après tout, n’est-ce pas là, l’exemple même du parfait homme ? « C'est cool...c'est une bonne flic, très... gentille. » Jake se pince les lèvres, repositionne ses pieds pour s’équilibrer -l’alcool le faisant doucement tituber, puis émet un rire gras. Sympathique façon de dire que sa fille a un caractère de feu. Mais est-ce réellement de sa faute ? Comme son nom l’indique, c’est une Owens, avec du sang de Kane, qu’elle le veuille ou non, c’est dans son adn.  

— T’as le droit d’être honnête hein, c’est une bonne gamine mais elle partage mon sang alors forcément...il plisse les yeux, se rend compte de ce qu’il est en train de dire. Merde, heureusement qu’elle est pas là, elle m’aurait tué hahaha !

S’exclame-t-il, comme fier d’avoir une fille comme Blair. Il n’aurait pu rêver mieux, à ses yeux elle est parfaite. Quoi que l’on dise d’elle, que l’on pense d’elle, il sera toujours fier d’avoir une flic rebelle à ses côtés -car oui, ne jamais se fier à son visage d’ange, la petite est tout de même capable de dégrader la devanture d’un bar avec son alcoolique de père tout ça pour se venger d’une personne dont elle aurait aimé ne pas partager le sang, bah...on choisit pas sa famille...et puis bon, quel intérêt d’apprécier le cousin de son paternel ? C’est pas comme s’ils faisaient des cousinades dans la famille ! « Je suis pas si jeune dude. […] Mais t'as raison, fuck les tendances, peut-être que je devrais en avoir un aussi. »  Il acquiesce, rien de tel qu’une belle moustache pour se sentir beau...et comment dire qu’un Jake sans sa moustache...ce n’est pas un Jake !  

— Pour moi si. Tu pourrais être mon gamin, et surtout t’es imberbe...je suis le mâle alpha, tu es l’omega. Il marque une pause. Mais c’est vrai que tu monterais en grade si t’avais une moustache, ça fait toute la virilité d’un homme la moustache, oublie jamais ça !  

Et qu’il se sente honoré le petiot, le détective est d’ordinaire radin en conseils ! « C'est le père de Bieber, duh. » Le plus vieux lâche un petit hoquet et pointe un doigt accusateur en direction du blond.  

— J’ai la vague impression qu’tu te fous de ma gueule.  

Vague impression ou certitude. Visiblement Bieber a des cojones, si c’est pas mignon. « Yah...je vois...c'est une belle photo de toi en plus. » Elle peut bien l’être, il s’est fait tirer le portrait chez un photographe professionnel...belle arnaque de présenter aussi sérieux mais que voulez-vous, c’est son gagne-pain ! « Des excuses ? Pourquoi ? » Comment ça “pourquoi” ? Pour ne pas l’avoir pris pour un détective sérieux, pardi ! Lui qui fournit tant d’efforts dans ce job, se faire ainsi insulter par un mioche tout juste sorti de la puberté...impossible de se sentir plus insulté que ça ! « Tu sais quoi ? C'est pas grave. » Jake soupire, pose une main amicale sur l’épaule de son interlocuteur.

— T’as raison, petit. Moi dans ton coffre, c’est de l’histoire ancienne tout ça, rien de bien grave !

Comme s’il parlait d’une époque lointaine, Jake balaye l’air de la main droite. « Alors...qui on va espionner ? On doit trouver ton gars, celui que tu cherchais, tu sais...faire ton travail. » Le détective plisse le regard, intrigué. « T'es trop bourré pour conduire...et j'ai la voiture. Je peux aider, je suis un bon détective aussi […] Je t'ai trouvé. » Il considère le plus jeune, l’étudie de la tête au pied, comme s’il le passait au scanner, qu’il pouvait voir à travers lui.

— C’est bien parce que j’tiens à mon permis et à ma liberté...parce que bon, je suis bourré mais c’est surtout ta caisse. Rectifie-t-il. Mais bon détective...doucement junior, t’es stagiaire tout au plus. T’as pas le flair d’un bouledogue comme moi, alors tu restes mais t’écoute papa et t’es sage.  

D’un pas incertain, il se dirige vers l’habitacle, ouvre la portière côté passager et s’assoit tranquillement sur le cuir, prêt à se faire conduire. Puis il attend le chauffeur, une fois tous deux installés, Jake commence, téléphone en main, il présente une photo au plus jeune.  

— À la base tu d’vais être ce mec-là. Jerry P. Lopez, un latino-américain de 54 piges. Son boss le soupçonne de trahison professionnelle, il donnerait des infos pas cool à la concurrence. Avec un peu de chance il est encore sur place, ta mission si tu l’acceptes, est de me conduire là-bas, de me soutenir si j’manques de me casser la gueule sur le bitume, et surtout, de m’aider à identifier le gars...parce que là j’ai pas les yeux en face des trous si tu vois ce que j’veux dire.

Jake met toujours un point d’honneur à être constamment honnête. Sauf quelques maigres exceptions, le détective ne ment jamais. Quel intérêt y aurait-il à cacher la vérité à autrui ? À camoufler ce que l’on pense réellement alors que, c’est évident, tout se sait un jour ou l’autre. Sa paresse lui ait d’une aide précieuse également car s’il y a bien quelque chose qui le fatigue, c’est de trouver milles et unes excuses et formulations, autant ne pas passer par quatre chemins, que cela plaise ou non, c’est sa marque de fabrique. « Merci. » Et visiblement ça plait au gamin. C’est aussi ça l’avantage, reconnaître les gens bien des mauvais. Le jeune est assez mature pour ne pas partir au quart de tour, il n’est pas insultant et mieux que ça, est reconnaissant. Sans doute a-t-il affaire à un bon gamin, le genre rare de nos jours. « Non mais je suis honnête...elle est cool Blair...parfois. » La dernière remarque le fait rire. L’alcoolique pense avoir compris pourquoi son interlocuteur est si dubitatif envers sa fille, Blair est adorable lorsqu’elle est bien entourée, mais il suffit d’un malotru pour la mettre de mauvaise humeur. Et Dieu seul sait à quel point il ne faut énerver sa petite tête blonde !  

— Oh toi t’as fait un truc qui l’a mise en rogne ! Il affiche un sourire en coin. Elle est cool ma Blair...faut juste être un minimum civilisé et courtois. Il lève les épaules. C’est pour ça que j’comprends pas qu’elle s’entende bien avec moi...les mystères de la vie...

Et ô combien il est fier d’elle désormais. Qu’il s’en veut d’avoir manqué une grosse partie de sa vie, de n’avoir pas eu le courage de lui donner un biberon, de la calmer après un cauchemar, de jouer la fée des dents en mettant une pièce sous son oreiller ou bien, soyons fous, de l’emmener à Disneyland ! Jake se rachète petit à petit auprès d’elle, pas à pas, lentement il apprend à être père d’une grande enfant de 27 ans...tout ça ne le rajeuni pas.  

« Je vais peut-être te laisser la moustache mec, j'voudrais pas te faire la compèt. » De la compèt ? Il est bien sûr de lui le petit, peut-être faudrait-il lui rappeler qu’ils ne jouent pas dans la même cour ? Car oui, ça plait aux filles ! Suffit de voir une photo de lui sans moustache pour comprendre que c’est elle qui lui donne tout son charme ! Fût un temps où il ne l’avait pas, il a commencé à la garder à la trentaine, avant il n’était qu’un pré-ado imberbe à peine crédible en tant que militaire. Non pas qu’il soit moins séduisant sans, mais soyons honnête, un homme de plus de 40 balais qui fait vraiment son âge tout en ayant la stature d’un Dieu Grec, ça fait rêver. Parce que oui, et il peut bien s’en vanter, le détective a, malgré ses addictions, continué à maintenir son corps en forme dans tous les sens du terme. Il est bien taillé, a des muscles, de la force et de l’endurance, pas si simple quand on est accro à la boisson mais c’est ainsi que l’a éduqué l’armée, l’effort, toujours l’effort !  

— De la compèt ? Je t’en prie, y a même pas comparaison, là ! S’exclame-t-il en rigolant.

« Attend t'es sérieux ? Ok, ouais, cool. Je vais être sage, t'inquiètes. » Jake plisse les yeux, peu certain que l’idée soit si bonne finalement. Mais comme il n’a qu’une seule parole et que de toutes manières il ne serait pas productif tout seul dans l’état qu’il est, garder le petit à ses côtés est préférable voir primordial. « Et on fait quoi si on le trouve ? On le chope, on l'embarque, on lui casse les jambes ? T'as une arme ? On a le droit d'avoir des armes ? S'il est à l'intérieur, on va faire comment pour entrer ? Je suis bon dans les distractions si jamais, je peux déjouer la sécurité fastoche. Je sais comment crocheter des serrures aussi ! » Voilà, typiquement le genre de chose qui le fait fuir sans détour. Comme une impression d’avoir un adolescent à côté de lui, le genre nerd à jamais quitter sa piaule et qui, lorsqu’il le fait, change ça en une vraie mission secrète ! Pour calmer le jeu, Jake claque sa main contre la bouche du blond, sans trop mesurer sa force puis rétorque.

— Tout doux gamin, on n'est pas dans GTA là. Il soupire. C’est pas une grosse affaire, faut juste que je prenne les bonnes photos aux bons moments, quand le mec est avec la concurrence, le mieux c’est de les avoir avec des documents en mains, là y a pas meilleure preuve de trahison. Mais tout ça c’est une question de ruse et de timing, c’est là-dessus que tu vas m’aider, d’habitude je m’en sors bien tout seul mais là y a peu de chances que j’me fasse pas remarquer, j’marche même pas droit. Il marque une pause. Mais si tu veux tout savoir, oui j’ai une arme, presque constamment, si j’ai le droit d’en avoir une ? Pas vraiment mais je m’en branle ! Mais je note que tu es bon dans les distractions, ça me sera peut-être utile ça.

Déjouer l’attention pour approcher sa cible c’est vieux comme le monde et ça a toujours fait ses preuves alors pourquoi s’en priver ? D’autant que ça peut engendrer de belles situations bien comiques, c’est d’ailleurs très drôle à faire parfois, imaginer toutes sortes de distractions est une chose, les mettre en pratique en est une autre.

— Tiens, l’adresse de la concurrence, ils devraient s’y voir dans une petite demi-heure, faut pas tarder. Prêt à se mettre en route, fort enjoué d’avoir un stagiaire temporaire sur qui s’appuyer -littéralement parlant, quelque chose vint soudainement frapper l’esprit de Jake. Attend, attend...c’est bien mignon tout ça mais j'connais pas encore ton nom, à toi ! Ou si tu m’la dis c’est rentré d’une oreille, c’est sorti par l’autre !

Pour qu’il trouve que Jake est l’homme le plus cool qu’il ait croisé dans cette ville, c’est qu’Angel n’a pas dû sortir beaucoup de sa grotte. S’il y a bien quelqu’un qui n’essaye pas de rentrer dans le moule c’est bien le détective. Qu’a-t-il de classe au juste ? Cette pseudo attitude de Jack Sparrow ? C’est plus racoleur à la télé que dans la vraie vie, surtout lorsque l’on n'a pas le look de l’emploi. Bien sûr qu’il plaît, là n’est pas la question, mais il n’a jamais rien fait pour avoir l’air charismatique mis à part être lui-même, et croyez-moi, être lui-même n’est pas de tout repos...même pour lui. Alors pourquoi Diable le petit le regarde-t-il ainsi ? Comme un enfant devant Mickey, c’est assez perturbant et très gênant pour le quadragénaire qui n’a pas pour habitude de divertir de jeunes prépubères en manque d’adrénaline. S’il avait voulu qu’un gamin lui colle aux basques, il aurait commencé par élever sa propre fille. « Eh bah, je suis un bon tireur aussi, si jamais. » Jake le distingue de la tête aux pieds, le regard blasé. Ça fait à peine cinquante kilos et ça veut manier une arme, s’il n’avait pas une aversion pour les jeunes, il le trouverait presque adorable...presque.

— Faudra m’passer sur le corps si tu veux mon arme.  

Répond-t-il simplement, n’accordant pas plus de temps à cette discussion totalement absurde. C’est à se demander si même totalement saoul, il ne serait pas plus efficace qu’avec ce boulet dans les pattes. « Oh c'vrai, moi c'est Angel. T'sais, comme la ville? Los Angeles...pas comme l'ange quoi. » L’alcoolique hoche la tête. C’est un prénom qui sied parfaitement à un petit blondinet pot de colle. Bien qu’il ne soit pas très représentatif, il lui convient plutôt bien, un prénom énervant pour un mioche énervant.

— Bah, physiquement ça colle. Il hausse les épaules. T’as clairement pas le look bad boy.  

Quand bien même il essaierait de l’avoir, il ne serait pas crédible. C’est pour cette raison qu’il sera peut-être utile finalement, parce qu’il n’a d’apparence rien de féroce, de QI assez élevé pour prétendre au poste de détective donc à priori, la cible ne devrait pas se méfier de lui. Comparé au plus vieux qui n’a rien, mais alors rien d’angélique et plus encore, qui, même innocent, a tout l’air d’un coupable. Fort heureusement il a de l’expérience et de nombreuses aptitudes pour contrebalancer ses lacunes, sinon cela ferait bien longtemps qu’il aurait fait faillite. « T'as un gros appareil photo, comme les paparazzis ? On fait comment, on attend juste dans la voiture? » D’un soupir, Jake roule les yeux et, persuadé qu’il ne cessera pas de le questionner s’il ne lui répond pas, rétorque au jeune homme d’un ton las.

— J’ai plein de trucs pour prendre des photos. Le gros appareil c’est pour quand j’suis en état de conduire, le zoom est niquel alors j’ai pas besoin de sortir de ma caisse. Là j’ai pris une montre espion et un petit appareil photo compact, ce qui veut dire qu’il va falloir être au plus proche. Du coup nan, on n’attend pas.  

Mais quel rôle donner au petit ? Le mieux serait de lui refiler quelque chose de sûr, comme attirer l’attention sur lui afin que Jake puisse avoir des preuves de qualité. Ce qui, à n’en pas douter, ne risque pas d’être très difficile pour le jeune homme. « Et tu voulais faire quoi en fait, en t'cachant dans le coffre? Si tu t'étais pas trompé de bagnole. C'était pour le tuer de crise cardiaque? » À vrai dire, il n’en sait trop rien, Jake n’est pas en capacité de réfléchir correctement, à défaut d’avoir pu prendre un véhicule, il a opté pour se cacher dans le coffre de la cible, au moins là, il était certain de ne pas le louper. Bien sûr, il connaît la destination du traître, mais qui commande un Uber pour une filature ?  

— J’ai pas pris mon pick-up, ni même ma moto...alors pour pas le louper j’ai décidé d’aller dans son coffre. Il sort une flasque de rhum attaché à son cou, en boit une gorgée et poursuit. J'te rappelle que j’suis en état d’évri-d’ébriti-d’évréitié...bref j’suis bourré.

La route lui paraît longue, non seulement à cause de l’enfant à côté de lui mais aussi par la crainte de passer à côté du scoop, de l’ultime preuve qui lui apportera assez d’argent pour remplir sa cave à vins. « Si ça se passe bien, tu pourras dire un mot en ma faveur à Blair? J'essaie pas de me la faire hein t'inquiète pas, j'veux juste pas qu'elle me tase comme Misha. » Le quadragénaire lâche un rire franc. Si ses mots pouvaient avoir un quelconque effet sur Blair, il commencerait par se faire définitivement pardonner pour avoir omis d’annoncer sa relation avec Hazel. Qu’elle change d’avis sur le blondinet grâce à un simple coup de main tiendrait du miracle.

— Crois-moi, j’pourrais dire que t’es l’homme parfait qu’elle m’écouterait pas, si elle s’est déjà fait un avis sur toi, c’est mort, d’autant que j’sais pas ce que tu lui as fait. Et encore heureux que tu ne veuilles pas “te la faire”, si c’était le cas j’te castrerais à la hache dans ton sommeil.

Et il en serait bien capable. Fou qu’il est, il n’hésiterait pas une seule seconde. Lui qui n’a pas été présent la majeure partie de la vie de sa fille, peut au moins se comporter désormais comme un papa digne de ce titre et couper les bijoux de famille de tout mâle qui ose approcher d’un peu trop près sa choupinette. Quand bien même elle soit capable de se défendre toute seule, el padre sera toujours là pour surveiller.  

— Bon allez, ça cause dur mais ça avance pas. Râle-t-il. Et c’est quoi cette manie de respecter les limites de vitesses, appuie sur l’accélérateur ! Mazette, faut tout faire soi-même dans ce pays !

Sans plus de mots, Jake pose son pied contre celui du conducteur, sans lui faire mal, simplement un appui supplémentaire, non moins dangereux mais s’il se préoccupait de leur sécurité il n’embarquerait pas un pré-ado dans une affaire aussi sérieuse que celle-ci. Il a fallu une voiture devant eux pour qu’il cesse de maintenir son poids sur le pied d'Angel.

— Gare-toi là, on descend, Lopez est juste là.  

Alors qu’il peine à sortir de l’habitacle sans perdre l’équilibre, le détective s’approche doucement du blondinet, prépare sa montre espion comme il en a l’habitude puis murmure quelques mots à l’oreille de son interlocuteur.

— C’est ton moment de gloire petit, va donc faire le poirier devant les messieurs.

Jake n’avait pourtant pas l’intention de vexer le jeune homme. Pas qu’il soit assez sympathique pour lui éviter toute humiliation quelle qu’elle soit, non, il disait simplement ce qui lui passait par la tête. Constamment, instinctivement, il n’avait jamais de limites, sans penser même aux conséquences de ses paroles. Le détective ne mentait pour ainsi dire quasiment jamais. Les rares exceptions étaient pour se sortir de situations qu’il jugeait malaisantes, et lorsque de l’alcool était en jeu. Lui dire qu’il n’avait rien d’un bad boy n’était pourtant pas une insulte à ses yeux, bien au contraire, le simple fait de ressembler à un mauvais bougre pouvait être dangereux, quelques tatouages par-ci par-là et vous êtes un délinquant, un regard noir, des tenues sombres et vous êtes à deux doigts d’être un serial killer. Jake pouvait en témoigner...bien que lui était réellement bad boy. « Oh cool, j'peux avoir la montre ? » Ahuri, le plus vieux dévisage son cadet. Prêter sa montre ? C’est comme demander à un enfant récalcitrant de partager son ours en peluche, jamais Jake ne prête ses joujoux ! D’autant qu’au fond, ce n’était pas si extraordinaire que cela, n’importe qui pouvait s’en procurer une ! Loin d’être uniquement disponible via un réseau privé, il suffisait simplement d’avoir internet et de l’argent...après quelle utilisation en ferait un simple civil ça, c’était une autre histoire.

— La montre c’est comme l’arme, si tu la veux, faut me passer sur le corps. J’prête pas mes jouets de détectives.

Loin pourtant d’être un jeu, son métier est plus risqué qu’il n’y paraît. C’est pour cette raison que de voir le petit blond être aussi excité à l’idée de participer à une mission le dérangeait. S’il n’était pas prudent, s’il prenait ça à la rigolade, cela pouvait grandement compromettre la réussite et il lui serait bien complexe par la suite de renouveler une tentative d’espionnage sans que les cibles ne soient sur leurs gardes. « Si j'avais su que détective c'est un boulot qu'on peut faire bourré, j'aurais peut-être bossé pour en devenir un aussi. C'est super pratique. » Jake roule des yeux, soupire et pose une main sur l’épaule droite de son interlocuteur.

— Gamin, c’est pas un boulot qu’on peut faire bourré, c’est un boulot que JE peux faire bourré.  

Tout est dans la nuance. Lui seul avait la capacité d’exercer sa profession avec brio en état d’ébriété. Sauf bien évidemment lorsque cela concernait la paperasse...déjà que sobre il n’était pas bien enthousiaste à l’idée de passer des heures assis derrière un bureau, imaginez saoul. « Mais j'étais déjà au-dessus de la limite tu crois quoi ! Tu vois flou aussi ? Tu vas nous faire crasher, enlève ta patte de là, j'sais conduire ! » Il ricane, se moque ouvertement de la conduite du plus jeune.

— T’as eu ton permis hier, t’es trop jeune pour dire que tu sais bien conduire.  

Puis ils arrivent à destination et tout de suite Jake craint un trop plein d’agitation. Peu alerte dû à son état, le risque de ne pouvoir contrôler le jeunot est multiplié par l’infini. Alors il propose un simple rôle, celui de distraire, non moins dégradant attention, il est même crucial. Juste plus adapté à Angel. « Faire le poirier ? Ça fait quoi un poirier ? » Persuadé qu’il s’agit là d’une blague, le quadragénaire réalise le sérieux du bambin avec effroi. Serait-il donc encore plus stupide qu’il ne l’imaginait ? Avait-il si peu de neurones que lui en avait grillé avec le rhum ? Non pas qu’il s’attendait à un génie mais il y avait tout de même un minimum de QI à respecter pour vivre en communauté ! Son paternel ne lui aurait donc rien apprit ?  

— Tu dois pas avoir ton Bac toi...

Lâche-t-il simplement, se désintéressant totalement de lui pour se concentrer uniquement sur son but. D’un geste précis, peu habituel lorsqu’il est saoul mais professionnel en toutes circonstances, Jake allume sa montre, la prépare avec soin, cible le point de vue parfait pour filmer et attend patiemment non sans pessimisme. « B'soir messieurs ! Ça baigne ? Enfin on s'en fout, je vais pas vous retenir longtemps, j'ai juste besoin d'aide, j'cherche une direction pour aller au......pour voir le poirier. » S’il avait eu l’occasion de paraître indiscret, le quadragénaire se serait tapé le front. À la place il fait les gros yeux. Mais quel abruti fini ce gamin, un deux ans d’âge, ce n’était pas possible autrement ! « C'est ça, je voudrais voir le poirier. C'est par où ? » À deux doigts de répondre “dans ton cul” Jake se ravise, prend sur lui et appui sur record. L’image est floue, le focus met tellement de temps à se mettre en place qu’on se croirait presque dans un tuto beauté sur YouTube. « Vous êtes sûr ? Parce que je suis top qualité, made in California. Vous en verrez pas beaucoup des modèles comme moi en Oregon! » L’homme hoche la tête, un sourire aux lèvres. Typiquement le genre de réplique qu’il aurait pu sortir, bon point pour le jeunot. Fier, le plus vieux vérifie l’image et s’assure d’avoir sa preuve en hd -4k serait trop demandé d’une montre espion- puis imite un “ok” discret avec ses doigts en direction de son acolyte provisoire. Sans attendre plus longtemps, Jake presse le pas vers ce dernier avant d’empoigner sa veste.

— Enfin j’te trouve ! C’est la deuxième fois que tu t’échappes de l’h.p, y aura pas de troisième fois j’te préviens ! Messieurs, navré que mon patient vous ait importuné, bonne soirée.  

Il tourne les talons, traîne Angel sur quelques mètres jusqu’à échapper aux regards des hommes puis relâche la pression. Jake, persuadé qu’il le regrettera tôt ou tard, accorde tout de même un high five au plus jeune.

— Bien joué p’tit.