Go daddy-o | Jake

À l’instar d’Angel, Jake ne croyait pas non plus à cette histoire de paternité. Elle était sortie de nulle part sur un blog complètement idiot trop occupé à médire sur les citoyens modèles de Klamath Falls plutôt que sur les véritables célébrités. Lui n’était en rien un personnage intéressant, bien sûr alcoolique et excentrique mais est-ce assez pour fasciner les internautes ? Peut-être devrait-il divulguer l’heure à laquelle il est allé aux toilettes ce matin ? Pour sûr que ça ferait le buzz ! Non, tout ça c’était à cause de son lien de parenté avec ces fichus Kane ! C’est bien pour cette raison que Scandale s’acharnait à se rappeler de son existence, lui inventer un môme non mais vraiment...d’autant plus qu’il s’agit du petit blondinet, non pas qu’il soit désagréable, en soit il ne lui a rien fait Angel, il l’a même aidé dans une mission alors qu’il était complètement saoul. Mais soyons réalistes, Jake ne peut déjà pas encadrer les jeunes alors un pseudo Justin Bieber qui se veut rebelle pour fils...non merci. Ceci dit, et c’est avec une profonde inquiétude qu’il doit bien l’avouer, qu’il ait engendré un autre Owens il y a plus de vingt ans que ce ne serait pas étonnant. À l’époque il n’était pas tout aussi prudent qu’il l’est aujourd’hui et découvrait tellement d’atrocités sur le front qu’il n’en dormait plus la nuit. Faire une bourde ou deux dans ces conditions ne serait pas la nouvelle la plus choquante du siècle. Il y avait bien quelques nuits où il s’évadait avec des collègues dans un bar du coin, à tenter d’oublier la vue du sang, de son odeur à l’aide de rhum ou de tequila. Il aurait pu suffire d’une petite demoiselle à le draguer pour qu’il succombe immédiatement sans se poser de questions...quand bien même il avait déjà fait l’erreur une fois.  

C’est non sans soupir las qu’il s’était réveillé ce matin-là, déprimé à l’idée de devoir se rendre au laboratoire d’analyse récupérer les résultats d’ADN qu’il avait exigé par mesure de précaution. Parce qu’il voulait être certain de ne pas avoir de second enfant, la probabilité que le gamin soit le sien n’étant pas de zéro, valait mieux s’en assurer. C’est pourtant avec bonne conscience –ou un bon gros déni- qu’il se rend sur place. De l’autre côté du bureau, une secrétaire lui tend une enveloppe et le détective, non sans réprobation, paye son dû. S’il avait su qu’un test ADN aux États-Unis était aussi cher, il se serait fait castrer sans une once de regret.  

— À ce prix-là, j’espère ne jamais vous r’voir ! S'exclame-t-il.  

Il avait choqué la pièce entière mais avait bien vu qu’il disait tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Tout porte à croire qu’il faut être millionnaire pour être en bonne santé dans ce pays, heureusement Jake se fiche pas mal des douleurs, parce que s’il y a bien quelque chose qu’il ne fera plus, c’est se rendre volontairement chez un médecin -quoique le bureau d’Hazel était une exception-.  

De retour chez lui, Jake n’avait pas tardé pour annoncer au blond qu’il avait les résultats. En attente de son arrivée imminente –le plus vite est le mieux- le plus vieux s’écroule sur son vieux canapé, les yeux rivés sur l’enveloppe posée sur la table basse. L’envie de l’ouvrir le démangeait mais par respect, il s’était promit de ne le faire qu’en présence d’Angel. Alors il avait allumé la télévision, histoire d’avoir un fond sonore pour penser à autre chose mais en vain. C’est donc étrangement soulagé qu’il relève le visage à l’écoute de la sonnette. D’un pas nonchalant, il ouvre au jeune homme, lui rend un sourire légèrement crispé avant d’empoigner la lettre. « Hey Jake ! Wassup?  Alors tu l'as ouvert le résultat ou tu m'attendais ? » Wassup ? Encore un langage de mioche ça. Dans un soupir, il vint tapoter l’épaule du plus jeune tout en arborant l’enveloppe fermée devant son visage.

— Salut Angel, ça va et toi ? Répond-t-il. Je t’ai attendu, y a pas que mon nom sur ce papier, j’allais pas l’ouvrir sans que tu sois là ! Maintenant que t’es là, j’vais plus m’gêner !  

Sur ces mots, le détective entreprend l’ouverture du courrier, maugréer un peu lorsque la patte de fermeture se déchire en plein milieu. Encore une enveloppe qu’il n’aura pas su ouvrir parfaitement, sans dégâts. Les résultats en mains, sur une feuille A4 pliée en deux, Jake, avec une légère appréhension, découvre leurs noms en tête de lettre. Se trouvant bien idiot de s’inquiéter pour rien, baisse le regard avec confiance. Tout de suite il devient blême, plus blanc encore que l’imprimé. L’encre noire indique un résultat positif.  

— Oh bordel...

Il ne peut exprimer plus de mots, c’est un peu comme si la terre se fendait sous ses pieds. Non seulement il avait négligé sa fille dès la naissance, mais voilà maintenant qu’il avait un fils dont il ne soupçonnait même pas l’existence ! Pourquoi avait-il été aussi abruti ? Pourquoi n’avait-il donc pas été fichu d’apprendre de ses erreurs ? Non attendez, est-ce réellement vrai ? Peut-être se réveillera-t-il dans la seconde, que tout ça n'est qu’un vague cauchemar ! Mais non. Il était bien réveillé et conscient qu’il se devait de donner les résultats au jeune homme, lui présente la feuille d'un geste tremblant.

— Regarde.

Loin d’être un jeu pour le détective, cette situation rocambolesque l’effraie plus qu’elle ne le diverti. Les gamins, il les a toujours eus en horreur, ça piaille, ça jacasse, ça demande une attention constante. La définition même du blond. Alors oui, l’idée qu’il soit son fils ne lui est pas des plus agréables. Pour autant, s’il s’agit bien de son marmot Jake n’irait pas jusqu’à renier son existence, bien au contraire. Il a déjà fait cette erreur il y a une vingtaine d’années de cela et il ne compte pas recommencer. Mais cela n’empêche pas que la pilule soit difficile à digérer et il lui faudra plus d’une journée pour réaliser l’existence d’une autre progéniture. D’autant qu’il a beau réfléchir, il ne voit pas qui pourrait bien être la mère. Vu l’âge d’Angel, il est indéniable qu’il était encore à l’armée au moment de sa conception, et rares étaient les journées off, du moins il ne s’en accordait que très peu. Si le petit est bien de lui, ça devait surement être l’une de ces soirées de beuverie où il tentait de noyer ses nombreux chagrins dans l’alcool. Car oui, lorsque l’on est spectateur des décès de ses meilleurs amis, il faut bien supporter la douleur d’une manière ou d’une autre...et déjà à l’époque Jake avait choisi la boisson, comme quoi il devait être prédestiné à devenir cette loque humaine qu’il est aujourd’hui.  

« Mais alors ? Ça dit quoi ? » Peu certain d’être encore capable de prononcer le moindre mot, Jake n’avait laissé échapper qu’un simple juron. Au fond ce n’est pas si étonnant, vu la chance légendaire du détective, évidemment que le gamin allait être son môme ! Il sentait déjà le mal de crâne arriver, la nouvelle lui faisait l’effet d’une bombe. Et c’est peu dire, lui qui en avait vu de ses propres yeux, l’explosion avait fait plus de dégâts psychiques aujourd’hui qu’une autre en avait fait à l’époque. Allez d’ailleurs savoir ce qu’Angel en pensait de toute cette histoire. D’apparence calme et détachée, qu’allait-il penser de cette concordance parfaite ? En serait-il heureux au point d’en sauter de joie dans tout l’appartement, ou bien au contraire, s’était-il imaginé un père exemplaire au point d’être dégoûté qu’un alcoolique détruise ses espérances ? En a-t-il seulement ? S’il a fait ce test c’est qu’il n’a pas de père le petiot, ou alors il serait encore plus stupide que Jake ne le pense déjà. Sans doute s’est-il parfaitement fait à l’idée qu’il n’en avait pas et que c’était bien comme ça. C’est en tout cas ce que pense le détective de son propre paternel, lui qui avait eu une aventure lorsqu’il était enfant et qui n’avait rien trouvé de mieux que de laisser sa famille le fuir...sans doute la raison pour laquelle le détective est si mauvais parent, il n’a eu pour exemple que sa mère qui s’est laissé faire par les hommes pratiquement toute sa vie, aussi adorable qu’elle soit, aussi protectrice et aimante, il n’en reste pas moins qu’elle n’est pas de sexe masculin. Blair a une mère, en est-elle vraiment fière ça, la question se pose, mais ce qui est certain, c’est que son absence à joué dans son caractère et sans doute est-ce également le cas pour le blond ? Que serait-il devenu s’il avait eu son père ? Allez savoir. « Quoi, ça dit que t'es pas humain ? Que t'as l'ADN d'une bouteille de whisky ? » Sa touche d’humour prouve bien qu’il ne prend pas le test au sérieux, comme Jake, il devait être persuadé que le résultat serait négatif et qu’ils reprendraient tous les deux une vie normale après aujourd’hui. Ceci dit, sa réflexion sur le fait que Jake ne soit pas humain n’est pas totalement fausse, un humain peut-il réellement ignorer l’existence de son enfant ? Cela ne fait-il pas de lui un monstre ? « C'est pas possible, mon père, il vient d'un autre pays, c'est un touriste, c'est ça qu'elle a dit. »  Le mensonge d’une mère aimante pour protéger son fils ? Ou la honte d’avoir eu une aventure avec un parfait inconnu sans protection ? En tout cas, les dires de la femme puaient l’affabulation à plein nez. Jake soupire donc, se dit qu’elle n’a vraiment pas été maligne sur ce coup. Qu’il soit le père ou non, il y a de quoi se poser des questions avec un discours si vague. « Alors là j'y ai presque cru. T'es détective, tu sais comment faire des faux papiers, tu m'auras pas si facilement. »  Le plus vieux lève un sourcil, il est peut-être détective, mais Jake est avant tout de la vieille école, l’informatique n’est pas son fort, il peut utiliser Word dans sa simple utilisation mais de là à imiter un document officiel, non il ne sait pas faire. « Jake, si c'est pas toi qu'as fait le papier, alors tu t'es fait voler ton fric, parce que c'est pas possible, nan ? » L’homme s’assoit sur l’accoudoir de son canapé et grimace. Après mure réflexion, si, c’était tout à fait possible. L’âge d'Angel, les nombreuses visites au bar durant ses années militaires ainsi que toutes ces femmes avec qui il avait “copiné” à ce moment-là, il suffisait d’une fois où il aurait été tellement meurtri qu’il en aurait oublié de mettre un préservatif. D’un bond, il fronce les sourcils. L’un des moments les plus difficiles pour lui avait été le décès de son premier ami dans la brigade, un gamin d’un an son cadet qui, à ce moment-là, s’était fait tuer au front, à côté de Jake qui avait failli à le protéger. Ce n’était pourtant pas son rôle à l’époque mais il s’était senti si coupable qu’il n’avait eu d’autre solution pour supporter la douleur que d’enchaîner les verres dans un bar New-yorkais après la mission. Cela remontait à loin mais il en avait encore des souvenirs très clairs, parce que c’était un évènement marquant et que ce genre de chose, même sous l’influence de l’alcool et des années qui passent, ça ne s’oublie pas.  

—  En réalité, c’est pas complètement impossible. Il marque une pause, semble fouiller dans ses nombreux souvenirs. Y a une vingtaine d’années j’ai vécu un traumatisme qui m’a conduit à boire énormément. J’me souviens d’un soir où j’ai rencontré une blonde aux yeux bleus dans un bar à New-York, c’était quoi son nom déjà...Il se concentre, les yeux clos. Ah, Laura, c’est ça ! J’ai plus son nom de famille mais j’suis sûr de son prénom...ce genre de période ne s’oublie pas, et j’dois avouer que l’espace d’une nuit, elle m’a réconfortée...y a peu de chance que j’ai eu l’esprit clair au point de penser à me protéger ce soir-là.  Il lève les yeux vers le blondinet. Ta mère ne s’appelle pas Laura...si ?

Tout comme Angel, Jake pratique le déni depuis bien des années maintenant. Sans doute depuis toujours en fait. Tout a commencé avec l’abandon de son père, petit, il aimait à croire qu’il reviendrait tôt ou tard, qu’il ne l’avait quitté, lui comme sa mère, que parce qu’il n’avait pas eu d’autre choix. Plus tard, à l’adolescence, il y avait eu cette histoire avec son beau-père alcoolique et drogué. Ce dernier avait le poing facile, la plupart du temps c’était sa femme qui prenait les coups et, aveugle ou stupide, ou les deux, Jake s’était mis en tête que si elle n’agissait pas pour se défendre, c’est qu’elle devait probablement aimer ça. C’est lorsque le monstre fut écroué pour ces méfaits que le jeune découvrit la vérité, sa mère ne faisait que le protéger. Encore une fois, il n’avait pas su lire entre les lignes, du moins il n’en avait pas eu l’envie. Allait-t-il pour autant apprendre la leçon ? Bien évidemment que non. Parce qu’à l’annonce de la grossesse de sa petite-amie de l’époque, il n’avait eu d’autre choix que de nier l’évidence. Avoir un bébé lorsque l’on est encore qu’un grand enfant ? Non, cela ne pouvait pas lui arriver, impossible.

Et ce fût ainsi pour à peu près toutes les étapes cruciales de sa vie : les décès de ses compagnons d’armes, celui de sa femme enceinte, son alcoolisme, le retour de sa fille qui, par miracle, avait pardonné son père et pour finir, son amour pour Hazel, sentiment qu’il se refusait de ressentir par égard pour sa défunte épouse et, cela paraît évident désormais, par culpabilité. Cette bombe ne ferait pas exception si le détective n’était pas habitué à ce que sa vie soit sans cesse chamboulée pour x raisons.  

Ce genre de chose ne pouvait arriver qu’à lui. Ou à Misha. Vu son train de vie, qu’un nouveau gamin de vingt piges pointe le bout de son nez que ça ne l’étonnerait pas. Ils sont peut-être en froid mais il n’en reste pas moins qu’ils sont plus similaires qu’ils ne le voudraient l’admettre, l’un comme l’autre. Mais accepter un fait n’aide pas à le comprendre, ni à savoir quoi faire par la suite. Angel est son fils d’accord, il assumera ses responsabilités certes, mais après ? Va-t-il seulement parvenir à aimer cet enfant venu de nulle part ? Lui qui a mis tellement de temps à avoir beaucoup d’affection pour le premier, lui en reste-t-il encore pour un second ? Sans mentir, il était perdu, réellement perdu. « Euh ouais, c'était Laura...elle s'appelait Laura. Mais je sais pas si elle est déjà allée à New-York...Enfin, je suppose que oui, du coup. » Le plus vieux s’écroule sur le rebord de son vieux canapé. Il n’y a donc véritablement plus aucun doute sur leur lien de parenté. « Elle est plus là, tu sais ? Elle est disparue quand j'avais 15 ans, je l'ai jamais revu. Elle est sûrement morte, ou elle a été enlevée par des extraterrestres, je sais pas. C'est pas grave, elle était nulle de toute façon. » Jake fronce les sourcils. A-t-elle été si mauvaise mère que son fils la dénigre à ce point ? Que dire de lui alors ?

— Je peux toujours la retrouver, c’est mon métier. Il fixe son interlocuteur. Enfin, encore faudrait-t-il que tu en ai envie. Personnellement j’m’en fous, j’ai pas besoin de ses explications, c’est pas la première femme à se foutre de ma gueule.  

La mère de Blair ayant délibérément arrêté la pilule pour tomber enceinte, il a déjà bien été pris pour un abruti comme ça, inutile de s’imposer la présence d’une femme n’ayant pas trouvé juste de lui apprendre sa paternité. Cela n’aurait pas changé grand-chose, Jake aurait été tout aussi absent qu’il ne l’a été pour sa fille, mais au moins il aurait su à quoi s’attendre. « Je parie que Blair sera pas très contente de savoir ça. Enfin, t'es pas obligé de lui dire non plus hein, si tu veux que ça reste un secret... » Et merde, y a ça aussi. Blair ne porte pas le gamin dans son cœur et elle le lui a bien fait comprendre. Il soupire. L’idée de le lui cacher est peut-être arrangeante mais loin d’être bonne. Jake n’est pas bien mature, du moins pas comme un homme de quarante-cinq ans devrait l’être, mais il a un minimum de jugeote, et de respect.  

— Petit, tu pourras toujours nier l’évidence mais les faits sont là, j’ai pas envie de cacher ça à ma fille. Il se lève, se met à la hauteur de sa progéniture. J’sais pas comment était ta mère avec toi, mais même si ça peut paraître choquant, moi j’ai du respect pour toi. Et refuser d’admettre que tu es mon fils...nan, j’ferais pas la même erreur deux fois.  

Peut-être est-ce égoïste, parce qu’il ne veut pas avoir le mauvais rôle, qu’il veut avoir bonne conscience. En tout cas il serait bien idiot de lui fermer la porte au nez. Angel réagit à chaud, parce qu’il s’aperçoit que toute une partie de sa vie n’a été qu’un vaste mensonge inventé par sa mère, mais peut-être voudra-t-il garder le contact plus tard ? L’avenir est plein de surprises, l’alcoolique est bien placé pour le savoir. « Ouais, je suppose que c'est peut-être possible, que tu sois mon père, ça expliquerait des trucs. » Le regard perdu, Jake hausse les sourcils. Quelle histoire abracadabrantesque a-t-elle pu lui raconter pendant toutes ces années ? Un touriste venu d’un autre pays, vraiment ? Pas étonnant qu’il soit aussi paumé le môme, avec tant de questions sans réponses. « Au moins t'es sauvé, je suis trop vieux pour avoir une pension alimentaire. » Il pouffe. La situation ne prête sans doute pas à rire mais rien de mieux que l’humour pour détendre une atmosphère pesante.  

— Dieu soit loué, j’mets déjà tout mon fric dans mes bouteilles. Plaisante-t-il. Finalement, cette foutue Scandale a touché juste...elle serait presque meilleure détective que moi. Il lève l’index devant son interlocuteur. Presque ! Assoiffé, il attrape deux verres et une bouteille de rhum. Tiens, t’auras au moins besoin de ça pour encaisser la nouvelle.  

« Nan...qu'elle reste là où elle est, j'm'en fous, elle avait qu'à pas m'planter. Pas b'soin d'elle. » La logique voudrait qu’il soit totalement d’accord avec Angel. Lui-même avait été abandonné par son père parce que ce dernier n’avait trouvé rien de mieux à faire que de copuler avec une autre femme et de partir avec elle on ne sait où. Sauf qu’il ne faut pas l’oublier, Jake n’a pas été le parent de l’année non plus. Tout au plus un géniteur, et encore. Il pouvait bien s’estimer heureux que sa petite fille chérie l’ait recherché après toutes ces années, il n’aurait pas été en mesure de le faire lui-même, manque de courage ou honte, ou les deux. Alors il soupire dans son coin, découvrir que l’on a un fils à 45 ans est déjà difficile à digérer, mais que sa mère soit portée disparue, les laissant tous les deux sans la moindre explication l’est d’autant plus. Mais encore une fois, est-il réellement en position de force ? Elle n’a pas été honnête mais emporté par la rage et la tristesse d’un être cher, il n’avait pas trouvé nécessaire de se protéger, on ne peut pas dire qu’il soit complètement innocent non plus.

— Comme tu veux, si tu changes d’avis, tu sais où me trouver.

Si Angel ne sait pas sur quel pied danser, Jake n’est pas en reste. Adolescent, il s’était toujours persuadé qu’il n’aurait aucun môme plus tard. Non pas à cause de l’immaturité d’un gamin de seize ans, mais surtout parce qu’il n’avait jamais eu de figure paternelle. Le seul homme avec qui il ait vécu jusque-là était drogué, alcoolique et violent, loin donc, d’être un bon exemple. Puis ce n’est pas nouveau, s’occuper d’un enfant est un véritable calvaire, faut le nourrir, lui changer les couches, l’habiller, l’emmener à l’école, chez le médecin, lire oui-oui à la plage à 20 heures du soir pour endormir un gamin qui se réveillera à quatre heures parce qu’il aura faim, adolescent faut subir les crises à répétitions, supporter la vue des boutons d’acné et refaire les courses de la semaine parce qu’il aura dévalisé le frigo après les cours. Bref, tout un tas de raisons qui font que Jake a préféré, et de loin, s’engager à l’armée plutôt que de supporter ça. « J'serai pas trop chiant non plus hein, j'sais comment me débrouiller. »  Clope au bec, le quadragénaire acquiesce, le regard dans le vide.

— Mouais. On va dire que j’te crois.  

Il hausse les épaules, peu convaincu. Le gamin n’a pas de poste stable, semble se comporter comme s’il était toujours prépubère alors évidemment le doute est permis. Il n’est néanmoins pas aussi dépendant qu’un bambin donc à priori, Jake n’aurait pas trop à s’inquiéter d’éventuelles nouvelles charges et aides diverses. « P'tain, faudrait pas qu'elle sache qu'elle avait raison la Scandale, ça lui monterait à la cervelle. » Tandis qu’il tapote sa cigarette au-dessus de son cendrier, le plus âgé pouffe de rire.

— Oh j’me passe bien de l’avis de cette psychopathe. Faut quand même avoir une vie sacrément chiante pour s’intéresser à celles des autres.  

Les théories de Jake à son sujet seraient que sous ce pseudo se cache soit un geek à lunettes qui ne se lave pas, soit une gamine de riche en mal d’attention. S’il ne s’en foutait pas autant, Jake aurait sans doute chercher à connaître son identité...mais comme il s’en contrefiche, il n’en fera rien. « Mais du coup, si t'es mon père, p't'être que tu pourras me laisser devenir détective aussi hein, on pourrait être Owens & fils. » Et voilà. Ça, il l’avait vu venir. Jake roule les yeux, comme si devenir détective privé était si facile !  

— Faut faire une formation, avoir une licence professionnelle pour exercer. Il regarde le jeune homme de la tête aux pieds. Mais si tu me montres que tu es sérieux, je veux bien te prendre comme stagiaire non rémunéré.  

Aussitôt dit, aussitôt regretté. Sans doute sera-t-il un enfer de travailler avec cet enfant mais tout comme il s’est intéressé à la vie de sa fille après l’avoir rencontrée, il le ferait pour son fils. Aussi immature qu’il soit. « Je suppose que c'est mort avec Blair par contre, ça l'empêchera pas de me foutre en tôle. » Un rire franc lui échappe tandis qu’il écrase sa cigarette dans son cendrier. Si son travail le lui demande, même Jake, son propre père, ne pourrait échapper à la taule. Alors pour Angel, tout comme pour Misha, elle prendrait certainement un malin plaisir à les mettre derrière les barreaux, cela ne fait aucun doute.  

— Ouais, c’est pas gagné. Si t’as fait une connerie pour qu’elle te déteste autant, commence déjà par t’excuser. Y aura bien un jour où on se retrouvera dans la même pièce tous les trois, et j’tiens pas à ce que ce soit la guerre. J’ai beau être ancien militaire, les disputes entre frère et sœur, moi j’veux pas gérer ça, j’ai pas fui mes responsabilités parentales pour réconcilier deux gamins dans la vingtaine.

Il va sans dire qu’il n’a pas été mauvais lorsqu’il l’avait assisté dans son enquête, mais il serait plus juste de dire qu’il n’avait en réalité simplement commis aucun impair. La jeunesse et l’immaturité de l’enfant ne présage rien de bon quant à son avenir dans l’investigation. Cependant, et même s’il pourrait le regretter dans quelques temps, Jake est tenté de lui laisser une chance. Car si son propre père ne le fait pas, qui le fera à sa place ? Quand bien même ce nouveau lien soit aussi perturbant pour l’un comme pour l’autre, que cette découverte soit tout fraîche, il n’en reste pas moins qu’ils sont parentés et que malgré qu’il soit resté dans l’ignorance toute la vie de ce gamin, il a bel et bien le devoir d’assumer ses responsabilités, tout comme pour Blair, mieux vaut tard que jamais. « J'suis encore vivant, c'est une preuve d'jà. » Effectivement, cela doit relever du miracle. Un entraînement militaire ne serait pas de trop pour Angel, il lui faudrait bien ça pour endurcir son mental et, avouons-le, ce petit gabarit de pré-ado.  

— Un point pour toi, ça relève du miracle j’dirais même.  

Le détective avait bien vu, à l’expression de son fils, qu’il n’était pas enchanté à l’idée de devoir étudier pour exercer. Il ne pouvait que le comprendre, lui non plus n’avait pas été emballé à l’idée d’avoir le nez dans les bouquins, d’autant que Jake avait dû le faire dans la fin de sa trentaine, difficile après avoir passé toute une partie de sa vie sur le front. Pour autant il lui fallait bien un diplôme à ce p’tit, rien que pour lui apprendre la rigourosité. Cela dit, ayant peu de chance de le convaincre de retourner sur les bancs de l’école, le quadragénaire aime autant lui proposer un stage prolongé non rémunéré plutôt que de le laisser seul à ne rien faire de ses journées, Mis à part certaines personnes qu’il ne nommera pas, il n’y a jamais eu de fainéants dans la lignée des Kane-Owens et ce n’est pas avec Angel que ça commencera, parole de commando ! « Ça me va! J'ai pas b'soin de fric de toute façon, j'ai hérité de tout le magot de ma grand-mère. » le détective soupire, si on lui facilite la vie, ce petit n’apprendra rien. Tout lui offrir sur un plateau d’argent c’est le pousser à ne rien foutre, bien loin des valeurs que prône Jake. « J'serai un bon stagiaire t'inquiète, j'ferai ce que tu dis et j't'appellerai pas daddy. »

— J’espère bien qu’tu seras un bon stagiaire, parce que j’sais pas à combien monte le magot de ton aïeule m’enfin 'faut pas grand chose pour passer de caviar à thon en boîte. Il hausse les épaules, tire une bouffée de nicotine et poursuit. Oh et j’men fous que tu m’appelle daddy en privé, tu fais comme tu veux, j’ai laissé le choix à Blair, pour toi ce sera pareil. Juste, sur le terrain c’est boss, tu m’appelle autrement et c’est l’entraînement militaire qui t’attends. D’ailleurs tu viendras une heure avant l’ouverture du cabinet, faut muscler tout ça, là. Ajoute-t-il en tapotant le ventre et les bras de son interlocuteur.

« Oh mais moi j'l'aime bien Blair, c'est elle qui m'aime pas. J'suis toujours sympa avec elle, j'lui demande des nouvelles de ses chats et de sa vie et elle m'envoie chier ensuite. Puis, elle déteste ma petite-amie, Mason. Y'a ça aussi. » Le quadragénaire lève les yeux au ciel, il avait bien entendu parler des querelles entre frères et sœurs mais pour lui il ne s’agissait rien de plus qu’une légende. Maintenant qu’il y est confronté, les migraines risquent d’être plus fréquentes. « Mais t'inquiète pas, j'vais la convaincre que j'suis génial, elle finira bien par m'aimer. Mais si t'as des trucs, j'suis preneur aussi. » Il est marrant le gamin, comme s’il était facile de convaincre Blair d’aimer quelqu’un qu’elle n’apprécie pas, déjà que lui a dû ramer un peu.  

— Moi qui voulait pas élever d’ados en querelle...il soupire. Tout ce qui fonctionne avec Blair c’est l’honnêteté, qu’est-ce qui fait qu’elle ne t’aime pas déjà ? Elle peut pas ne pas t’aimer comme ça, doit bien y avoir une raison...quant au fait qu’elle déteste ta petite-amie ça j’peux pas t’aider, j’ai déjà bien assez de deux mômes à gérer.