Lost stars. || Véronika

Cela faisait maintenant six ans que Winnefride était venue sur terre avant de retourner à l’état de poussière. Une éternité pour Poppy qui pourtant se souvenait encore de toutes les émotions ressenties. On ne pouvait jamais réellement faire le deuil de son enfant. C’est ce qu’elle avait compris avec le temps. Le trouble résultant de cette grossesse resterait toujours présent dans son coeur, dans sa tête. Ce terrible événement était une façon comme une autre de retourner depuis le début de son arrêt-maladie à la maison funéraire et vérifier que tout se passait bien. Elle n’avait que de bons retours, mais il était important pour elle de montrer le bout de son nez. D’une qu’elle était encore en vie et puis son travail lui manquait. Elle adorait sa profession et elle avait de bons collègues/employés : ce qui aidait fortement à la tâche. Poppy trouva finalement le courage de se lever et d’aller se préparer un café qu’elle serait sur le côté pour le refroidi : elle alla se préparer. L’attiédissement fait, elle regarda les publicités et le pamphlet annonçant la prochaine course à l’Hippodrome : quelque chose que Poppy condamnait farouchement. Ce qui la fit penser tout de suite à Harry. Encore et toujours. Elle n’avait pas pris sa voiture depuis des semaines : acceptant qu’on la conduise à droite et à gauche. De toute façon, elle n’avait pas eu l’envie de sortir. Terminant sa tasse, elle la rinça avant d’aller enfiler ses chaussures. Difficilement, mais elle réussit l’exploit et se redressa doucement en reprenant le temps de respirer. Elle avait perdu beaucoup de sa condition physique. Retourner au sport allait être difficile. Son regard s’arrêta sur la gourmette qu’elle avait retrouvée et remise. Un cadeau de Harry il y a des années, quand ils étaient adolescents. Un objet fifrelin pour beaucoup, mais pour elle. Une drupe et une banane dans son sac à dos et elle attrapa ses clés pour sortir de la maison et aller à la maison funéraire.

Au milieu de l’après-midi, elle sortit enfin : le cœur un peu plus léger. Poppy avait un rendez-vous. Un qui allait probablement tuer cette petite flamme, mais elle ne le manquerait pour rien au monde. Elle avait prévu d’aller voir Véronika. Petite amie de Tobias, elle avait appris la fausse-couche de la jeune femme et parce qu’elle avait traversé la même épreuve : elle se sentait attirée. Elle devait l’aider. Même si c’était l’écouter et juste hocher la tête. Peut-être qu’en parler l’aiderait ? Peut-être qu’expliquer sa propre expérience allait les aider ? Elle ne savait pas. Mais pour son frère, elle le ferait. Avant de prendre la route, elle s’approcha de l’arbre derrière l’établissement. Elle embrassa le bout de ses doigts et le posa sur l’arbre. Une tradition qu’elle faisait dès qu’elle venait ici. Remontant dans la voiture, elle mit dans son gps l’adresse de Véronika et démarra. Il ne lui fallut pas longtemps pour se retrouver dans la maison de la petite amie de Tobias. Poppy espérait vraiment pouvoir l’aider au lieu d’imposer sa présence. Elle était passée dans Au Pays des Merveilles pour acheter des douceurs végan, de quoi - elle l’espérait - lui remonter le moral. Sortant de la voiture avec le sac, son pas était lent, hésitant. Pourtant, elle continuait d’avancer jusqu’à appuyer sur la sonnette.

“Bonjour Véronika.” Un sourire. “Muffins et donuts ?” Proposa-t-elle en levant le sac.“ Je me suis dit que ça nous ferait du bien.” Histoire de reprendre un peu de couleur. Un peu de forces. Elles allaient en avoir besoin. Le plus dur selon Poppy étant de vivre avec ce sentiment insidieux qui ne vous lâchait jamais et que la société ne faisait qu’accentuer. Elle ne parlait jamais de sa fausse-couche. On lui avait sorti une fois qu’elle avait juste échoué dans son rôle de femme. Des mots durs, violents, mais qui sont tellement banales pour certains. Évidemment, Poppy avait répondu, mais sous le choc : sa répartie n’avait pas été à la hauteur de ses attentes. Il était question en venant ici de réconforter Véronika du mieux possible. Montrer que malheureusement ça peut arriver, mais qu’elle n’était pas seule. Poppy sera là. Aussi longtemps qu’elle en aurait besoin.

Elle n’avait, au fond, aucune réelle raison autre que de vouloir aider son frère, à tendre la main à cette femme qui ne savait même pas qui elle était. Poppy ne pouvait cependant pas la laisser vivre seule cette étape que beaucoup de femmes vivaient sans pour autant avoir une main tendue vers elle. Sans Lizzie et Harry, elle aurait été seule. Purement et simplement. Alors, c’était important pour elle de donner ce qu’elle avait reçu il y a des années de cela. Elle était la preuve qu’on apprenait à vivre avec ce sentiment d’injustice. Avec cette douleur viscérale. Parce qu’elles avaient porté un enfant qui n’avait jamais vu le jour. Poppy savait que trop bien qu’il y avait un moment où on ne pouvait plus faire semblant et au fond, elle avait compris qu’elles n’avaient aucune raison de faire comme si rien ne s’était passé. La société voudrait probablement mettre sous le tapis ces deuils de femmes enceintes. Poppy faisait fit de tous les tabous en parlait à celles.ceux qui pouvaient comprendre. Parce qu’en parler valide les sentiments de chagrins. Tout simplement.

Sa démarche était sincère et avait pour but que d’aider Véronika. Même si cela voulait dire partager son histoire qui n’était pas des plus joyeuses, mais celle de la femme qui est apparu devant elle une fois la porte ouverte ne l’était pas non plus. Si elles ne se serraient pas les coudes, qui le ferait ? Offrant des hors d’œuvres pour terminer la présentation, Poppy s’efforçait de sourire tant qu’elle en était capable. Attendant d’être invitée, elle rentra en essuyant ses pieds de politesse et enleva son écharpe. Elle enleva ses chaussures pour ne pas salir la maison et attendit la maîtresse de maison avant de s’avancer dans ce lieu inconnu. “Une tisane sera parfait.” Comme ça, elle n’embêtait pas les gens avec son régime alimentaire. Suivant Véronika dans la cuisine, elle posa ce qu’elle avait apporté sur la table de la cuisine et sortit les douceurs sucrées. Tournant ses yeux vers la jeune femme, son désolée la fit froncer les sourcils. Doucement, elle s’approcha et posa sa main sur son épaule : “Tu n’as pas à t’excuser, jamais, surtout pas avec moi hm ?” Elle savait. “Je n’imposerais pas ma présence, quand tu veux que je parte, dis le moi. Je ne le prendrais pas mal. Je sais que des fois, on veut être seule. Et c’est normal.” Poppy était là pour aider, pas pour rendre les choses plus difficiles. Elle se mit à aider Véronika : “Je suis juste là pour t’aider.” Elle souffla : “Même si savoir ce qu’on veut des autres pour le faire est impossible. Si j’ai bien appris quelque chose, c’est que des fois une présence vaut tous les mots. Ne pas se sentir seule, mais surtout, ne pas avoir à se justifier, à minimiser ce qu’on ressent.” Elle se tourna finalement vers elle : “On apprend à vivre avec ce poids, mais jamais il ne nous quitte.” Poppy préférait lui dire, pour ne pas qu’elle croit que la douleur disparaîtrait. Elle s’atténuait. On avançait avec. Elle restait cependant dans un coin de la tête. Toujours.

Poppy n’était pas là pour juger, pour se repaître de la tristesse de cette mère qui avait tout perdu. Elle était là pour la soutenir, pour lui dire qu’elle comprenait, qu’elle serait là si elle avait besoin de quelque chose : même si elle ne pouvait pas offrir ce qu’elle voulait probablement le plus au monde. Il était question de la rassurer d’abord et de lui dire de ne pas s’excuser. Combien de fois on lui avait dit la même chose ? Combien de fois elle n’avait pas suivie ce conseil ? Trop. Mais il était bon. Poppy était juste trop bornée parfois pour l’admettre et changer de mauvaises habitudes. C’est avec des mots qui se voulaient doux qu’elle continua de parler : espérant qu’ils trouvent le chemin de ce cœur endeuillé qui jamais ne se remettre de la perte qu’elle avait subit. C’était évident. Soutenant ce regard qui se plantait maintenant dans le sien, Poppy sourit en coin, tristement avant d’annoncer la terrible vérité. Celle qu’il n’y aurait jamais réellement de répit.

“Par respect pour toi, il ne m’a rien dit de plus que le fait que tu l’es perdu.” La rassura-t-elle avant d’écouter la suite. Elle ne hocha pas la tête, elle ne la pencha pas non plus sur le côté, elle se contentait d’être une oreille attentive qui recueil ces confessions pieusement. Voyant une boîte de mouchoir sur le comptoir, elle en prit un pour le tendre à Veronika en voyant une larme perler puis couler sur sa joue. “Cela a dû être encore plus dur…” Poppy voulait de cet enfant. Elle le voulait désespérément. Elle ne se laissa pas dire quelque chose sur une dispute. Ce n’était pas le moment, ni ses oignons, mais déjà dans sa tête elle s’imaginait le pire des scénarios. La laissant s’éloigner, elle la regardait faire ces gestes mécaniques qui ont également fait partie de son quotidien pendant si longtemps. Prenant la tasse, la question de Veronika raisonna dans son cœur.

Poppy prit le temps de respirer l’odeur de la tisane, cherchant les bons mots, les bons termes pour apporter un peu de paix à cette mère ébranlée par la vie, ou plutôt celle qu’elle n’avait pas pu créer.

“En faisant un pas à la fois. En te laissant le temps de faire ton deuil.” Commença-t-elle. “En étant fière de juste s’être levée et avoir pris une douche ou bien être sorti pour aller chercher le courrier.” Elle faisait appel à ses propres souvenirs. “On apprend à vivre avec. Difficilement, mais sûrement. Un jour à la fois. Il y aura des jours, qui te replongeront dans cet état léthargique, mais y’en aura d’autres qui te feront avancer.” Quant aux proches : “Il faut que tu t’entoures de personnes qui sont prêtes à te faire aller de l’avant. Qui te soutiennent, qui te permettent de ne pas seulement penser à ce bébé, mais à ce qui peut attendre de l’autre côté.” Poppy baissa finalement ses yeux pour regarder l’eau qui changeait de couleur : “Et tous les jours, je me répétais que tant que je respirais, je portais avec moi le souvenir de mon enfant. Qu’à travers moi… Elle vivait en quelque sorte. C’est ce qui m’a empêché de me foutre en l’air.”

Poppy ne voulait pas compromettre son frère, alors elle préféra être honnête et dire qu’elle ne savait que ce que Tobias lui avait dit, qu’elle ne savait pas les détails préférant les entendre de la bouche de Véronika si tel était son souhait. Si elle s’était séparé avec le père de son enfant après sa naissance, la femme devant elle avait dû vivre la séparation durant sa grossesse : de quoi serrer un peu plus le cœur de la jeune femme qui ne pouvait s’empêcher de se mettre à sa place. Tentant de trouver les mots, Poppy était bien consciente que cela pouvait être un discours qu’elle ne voudrait pas entendre. Que pouvait-elle dire d’autres ? Il n’était pas question de mentir ou de sortir des banalités. Cela n’aiderait pas Véronika à aller de l’avant.

“Je suis heureuse d’entendre ça. Il ne faut pas beaucoup de piliers pour tenir bon, tant que les fondations sont solides.” Elle comprenait la position de cette femme brisée par la vie. “Sur beaucoup de points, les hommes ne peuvent pas comprendre. La perte est vécue différemment.” Et c’était triste de faire ce constat, mais pourquoi se mentir ? “Tu y arriveras.” Finalement, sa dernière phrase pouvait sembler fataliste, déprimante, mais encore une fois elle n’était que criante de vérité. Poppy était encore en vie grâce à Lizzie et Harry, mais surtout parce qu’elle ne voulait pas abandonner et que la mémoire de Winnefride meurt avec elle. Poppy sourit doucement : “Tu réussiras à trouver les clés pour continuer d’ouvrir les portes à venir. Et même si tu recules, tu finiras par avancer.” Et si jamais Véronika n’y arrivait pas, Poppy ne la jugerait pas. “Non ce n’est pas bête. Ton cerveau doit s’ajuster à ce changement brusque. Le choc de devenir mère, l’acceptation de ce statut et puis finalement la déception de ne pas l’être. C’est on ne peut plus normal.” Et il n’y avait aucun médicament ou miracle pour accélérer ce processus.

Prenant le temps de boire sa boisson chaude, elle écouta la question et se permit de terminer ses quelques gorgées pour répondre. “Ne t’en fais pas, cela ne me dérange pas et ce n’est pas indiscret.” Si cela pouvait aider Véronika, elle était prête à tout partager. Tentant de formuler correctement des phrases qui pourraient transposer ses pensées. “Non…” Poppy passa sa langue sur ses lèvres. “Je ne pouvais pas, j’avais trop peur de revivre cet échec.” Elle prit une longue inspiration : “Mon corps a rejeté le bébé à cinq mois de grossesse. Les médecins n’ont pas jugé nécessaire de m’avorter : Winnefride étant décédée, mais continuait de grandir. Après l’accouchement, j’ai dû me battre, mais j’ai demandé qu’ils me scellent les trompes. Ce que mon compagnon de l’époque n’a pas accepté et nous nous sommes séparés : la perte du bébé ayant été l’épreuve de trop. Et puis, je souffre d’endométriose : une raison de plus pour ne pas prendre le risque de retenter l’expérience.” Poppy se retenait de dire qu’elle économisait pour se faire enlever son utérus et ainsi être débarrassée de tout cela. “Mais chaque personne est différente et si jamais un jour, tu veux retenter cette aventure : c’est tout à fait ok.” Pourquoi pas après tout ? Beaucoup de femmes n’abandonnaient pas.