t'avais pas l'habitude de proposer ça. proposer aux gens de t'accompagner quand tu faisais tes petites sorties solitaires, pendant des heures, sur plusieurs kilomètres. jusqu'à ce que tes vans soient usées jusqu'à la corde et boueuses, lacets défaits et aglets perdus ou en morceaux. c'était tes petits rituels. les sorties. seul. à plusieurs. en petit comité. tu t'accroches à cette vie sociale plus remplie que celle du président comme à une bouée de sauvetage contre ce connard d'ennui. toujours un truc pour t'occuper. toujours un truc pour te vider l'esprit. musique à fond, objets entre tes doigts, analyse continuelle. toujours quelque chose, la moindre chose, pour que ton cerveau parte dans des directions opposées à la tienne.
t'étais déjà sur la route, quand la proposition a été faîte. tu revenais du taf, de quelques courses inutiles, t'avais juste besoin d'un truc. recherche constante de stimulation. t'aurais pu passer chez toi, te changer, poser tes achats sur la table avant de repartir aussitôt chercher achilles. mais ça aurait été perdre du temps. et le temps, c'est précieux, si précieux bordel. t'avais déjà de quoi faire dans ton coffre, t'es toujours préparé, pour ce genre d'aventure. mais tu préfères lui dire quoi prendre. lui rappeler. la route est courte. t'es chez lui en un rien de toi. tu te contentes de rester devant. attendre qu'il sorte. tu penses à klaxonner, mais tu voudrais pas que ses parents l'empêchent de te suivre. pas que ça changerait grand chose à tes plans, d'être seul. alors t'attends qu'il apparaisse. qu'il ouvre la portière pour se faire une nouvelle fois agresser par la musique trop basse pour tes oreilles habituées, mais trop forte pour celles des autres. t'as ce réflexe, chaque fois qu'il s'installe, de baisser le son de moitié. même si t'en as aucune envie. même si t'aimes avoir cette drôle d'impression que rien n'existe. bercé par les notes, la route comme seule vue. mais achilles, il est déjà sympa de pas te forcer à changer de playlist. alors tu peux au moins baisser de quelques décibels, pas vrai ?
tu remets la voiture en marche, commence à manœuvrer dans la rue pour partir dans la direction souhaitée. alors que tu roules, les yeux fixés sur l'asphalte qui défile, tu lui expliques le plan. "ok. donc j'ai trouvé ce truc, vers l'extérieur de la ville. j'crois que c'était une école ou un collège mais c'a l'air abandonné depuis un bout d'temps. vignes, graffitis, vitres éclatées, la totale." tu tournes la tête rapidement vers le blond pour être sûr qu'il t'écoute avant de continuer, les yeux face à toi à nouveau. "pense pas que ce soit un bon coin pour une fête sauvage, mais ça m'semblait pas mal à explorer. tu verras, c'est immense." tu le regardes une nouvelle fois, avec ce petit demi sourire qui ne prévoit rien de bon. tu profites d'un feu rouge pour regarder ton téléphone, la carte qui montre un point a et un point b. tu soupires avant de le balancer sur le tableau de bord. "deux heures de route. j'espère que t'as de quoi causer, ça va être un long trajet, sinon."