An eye for an eye feat. Jake

Après que son mari soit à nouveau parti pour un voyage d'affaire, Ellen écrivit au détective Jake Owens. Elle avait entendu parlé de ses services plusieurs fois, aidant à prouver des infidélités. Elle savait que Daniel avait été infidèle il y a 30 ans, mais est ce qu'il l'était encore aujourd'hui ? Elle n'en était pas sûre. Il était souvent en voyage d'affaire, certainement pour fuir la maison où elle était. Il y avait bientôt un an, elle avait appris par Scandale que son mari avait eu une affaire avec la femme de son frère Grace et comme résultat, ils avaient eu un fils, Emil. Elle avait passé 30 ans à ne rien connaître de cette histoire. Évidemment, elle avait toujours détesté Grace, ne supportant pas cette femme, son instinct féminin l'avait clairement mise dans la bonne direction. Ellen venait de gagner les élections et au lieu de se réjouir, elle faisait face à la pire trahison qu'elle n'ait jamais eu. Elle avait basé sa campagne sur la stabilité de sa famille, elle avait donc fait un pacte avec Daniel, même s'ils n'arrivaient pas à résoudre leurs différents, ils devaient faire semblant que leur mariage avait survécu.

Mais ça ne voulait pas dire qu'elle n'allait pas le faire surveiller. Il avait pas intérêt à sortir voir des jeunes demoiselles pendant qu'elle se cassait le dos à travailler à la mairie. Elle eut donc l'idée de contacter Jake Owens pour voir si elle pouvait le convaincre de surveiller son mari, au moins quelques temps.

Le jour du rendez vous, elle tenta de s'habillé de façon à être la moins remarquable possible, n'oubliant pas ses lunettes de soleil et un chapeau pour cacher son visage. Elle imaginait déjà Scandale écrire un article criant que la mairesse allait voir un détective privé. Elle espérait garder ça privé, ses enfants et le reste de la ville n'avait pas à savoir ce qu'elle faisait. Et elle espérait que Owens serait quelqu'un de confiance. Elle n'était pas totalement rassurée quand il lui précisa qu'elle pouvait aussi le payer avec du Whiskey, c'était une étrange monnaie de transaction... Elle apporta donc un des meilleurs Whiskey Becker, mais aussi de l'argent en liquide au cas où, le Whiskey n'avait été qu'une blague.

Elle sonna à la porte et attendit impatiemment qu'on vienne lui ouvrir. Quand la porte s'ouvra, elle entra rapidement pour éviter qu'on la reconnaisse. Elle tendit la main et salua la personne en face d'elle :

- Détective Owens ?

Ce matin-là, à l’instar des autres de la semaine, Jake prend pour petit-déjeuner un simple café allongé accompagné de sa fidèle flasque de rhum, repas typiquement américain si l’on écoute le détective. Pour autant il n’a pas dans l’intention d’abuser de l’alcool aujourd’hui, il sait qu'il a un rendez-vous et quand bien même il est de notoriété publique qu’il se fiche pas mal d’exhiber son état d’ébriété devant ses clients, la première impression reste toujours la plus importante, celle qui implique la signature d’un contrat, d’une mission. Alors il fait un effort le bougre, ne s’habille pas avec les premières fringues qu’il trouve par terre, celles qu’il aurait jeté la veille après une soirée de beuverie. Non, cette fois-ci il s’habille correctement, chemise, pantalon, rien de très professionnel je le concède, mais qui a au moins le mérite de ne pas avoir ni tâches, ni pli, ni odeur de whiskey. Un coup d’œil sur son bureau suffit pour qu’il décide de ranger un peu le bazar qu’il a entassé depuis déjà plusieurs semaines, à se demander comment il faisait pour se retrouver dans tout ce merdier. Son ordinateur, à sa gauche, n’est pas allumé et depuis quelques temps, semble faire quelques caprices. Loin d’être addict de la technologie, le quadragénaire s’arme de sa paume pour donner un coup sur la tour, comme avec la télévision, il s’imagine que c’est un remède miracle, qu’il n’y a pas de nécessité à se rendre chez un informaticien car après tout, n’est-ce pas là la méthode qui a toujours fait ses preuves ? Alors il grommelle, soupire lorsqu’après plus de cinq minutes, l’écran s’illumine enfin. Rapidement il consulte les messages de sa prochaine cliente, dont il a, sans nul doute, déjà oublié le contenu. Une affaire de surveillance, hein. Un récidiviste ? Il serait bon qu’il ne le soit pas, plus la mission dure, plus il est payé, plus il a de bouteilles. Un cercle vicieux dont il n’est pas près de s’évader.  

Il n’a finalement pas de rendez-vous avant cette femme et se contente, jusqu’à l’heure de sa venue, de faire quelques recherches pour une affaire secondaire, simplissime au possible, comme il les déteste. Le genre qui peut se régler simplement par quelques clics sur une souris, barbant. Ce fût donc presque un soulagement lorsqu’il entendit la sonnette retentir. Après avoir fermé une page internet, Jake ouvrit la porte du cabinet –qui est également, accessoirement, la porte de son appartement- pour apercevoir une dame visiblement plus âgée que lui mais, et c’est simplement de la gentillesse sans arrières pensées, qu’il trouve très belle, et qu’il s’étonne même que son mari puisse lui être infidèle. Quand on a un diamant à la maison, pourquoi se contenter du toc ? –non pas qu’il considère les autres femmes comme telles, mais leurs comportements indécents avec un homme marié n’aident pas à rendre Jake sympathique envers elles, bien que l’homme soit le plus en faute dans ce genre d’affaires- « Détective Owens ? » Il serre la main tendue de la femme et, d’un mouvement ample qui indique le siège devant son bureau, l’invite à s’installer.

— Le seul et l’unique. Et vous êtes Mme Becker je présume ? Je vous en prie asseyez-vous.  

Elle arbore un chapeau, ne semble pas très à l’aise. Visiblement peu habituée de ce genre de prestations, il est pourtant peu courant que l’on ébruite le nom de ses clients, bien qu’avec cette fichue Scandale, la prudence est permise, voir même de rigueur. Jake, fin observateur, ne peut s’empêcher de reconnaître une bouteille de whiskey et visiblement, le moyen de paiement est de qualité, il en saliverait presque. Mais il reprend contenance, il aura tout le temps de boire lorsqu’elle quittera son cabinet. Pour l’heure, il s’enfonce confortablement sur son fauteuil en face de sa cliente et croise les bras, il faut faire bonne impression oui, mais Jake Owens reste Jake Owens.

— Dites-moi tout, comment se nomme votre mari ?  

Grandement exagéré de sa part de venir voir un détective privé? Ellen n’en était pas sûre, elle avait envie de croire à ce que Daniel ne la trompait plus depuis Grace, mais s’il lui avait menti pendant 30 ans, qu’est ce qui l’empêchait de mentir encore ? Elle n’avait plus confiance et voulait s’assurer avec l’aide d’un professionnel si elle avait réellement de bonnes raisons de s’inquiéter. C’est ainsi qu’elle avait trouvé le numéro de Jake Owens, un détective privé de Klamath Falls et celui qui l'aidera à découvrir la vérité.

Elle avait entendu des rumeurs sur lui, qu’il fréquentait un peu trop les bars de la ville et qu’il avait quelques enfants surprises d’après Scandale, mais tout ce qu’écrivait la blogueuse était à prendre avec un esprit critique. Comme la rumeur sur la grossesse de sa fille, cette dernière lui aurait dit si c’était vrai. Mais il était arrivé qu’elle dise la vérité, comme quand elle avait dévoilé à la ville que Emil était le fils illégitime de Daniel et Grace… Non, cette fouineuse était comme la peste et Ellen aimerait s’en débarrasser.

C’était donc habillé d’une sorte de déguisement que la mairesse de la ville avait sonné à la porte du détective. Elle espérait ne pas être reconnue, elle imaginait déjà les articles annonçant qu’elle faisait appel à un détective privé… De quoi complètement gâcher cette enquête et alerter son mari. Ce fut un homme moustachu qui ouvrit la porte, certainement Jake Owens. Elle sentit une odeur d’alcool dans son haleine, les rumeurs étaient donc vraies, mais au moins, il avait une belle moustache.

-C’est bien moi, merci.

Elle le suivit dans son bureau, elle analysa rapidement ce qui l’entourait, clairement pas du haut de gamme comme chez elle. Des meubles basiques et un vieil ordinateur qui datait de l’époque où les dinosaures parcouraient encore la planète. Même elle qui n’était pas très penchée sur la technologie, elle se demandait comment cette vieillerie marchait encore. Heureusement, elle avait ses enfants qui lui expliquaient les dernières nouveautés, même si elle ne comprenait pas tout, elle avait ouvert un instagram et utilisé un macbook au travail. Elle était fière d’elle de réussir à être un petit peu en accord avec les jeunes, même si de leur côté, ils devaient vraiment penser qu’elle était une boomeuse. Elle s’installa en face du détective, posant son sac avec le Whiskey au sol à ses côtés, croisant ses jambes et posant ses mains correctement sur ses genoux. Elle prit une inspiration :

-Avant, il faut que vous sachiez que je ne souhaite vraiment pas que notre collaboration s’ébruite, étant la mairesse de la ville, ça ne me serait vraiment pas bénéfique si d’autres venaient à savoir que je fais appel à un détective privé.

Elle n’avait rien contre Jake, mais elle avait peur pour sa carrière, c’était le souci de Ellen, elle avait toujours peur de ce que les autres pouvaient penser d’elle. Elle se lança ensuite dans les explication sur Daniel :

-Mon mari s’appelle Daniel Becker, je sais qu’il m’a trompé une fois par le passé, il y a 30 ans, il a eu un fils illégitime de cette relation qu’il m’a caché jusqu’à ce que Scandale dévoile tout l’année dernière. On s’est mis d’accord pour tenter de sauver notre relation, mais j’ai peur qu’il ne tienne pas parole. C’est là où vous intervenez…

Elle attend calmement si Jake a des questions ou veuille lui parler.

Parfois certains clients culpabilisent de faire surveiller leur conjoint. Se disent qu’ils exagèrent, que finalement tout cela n’est peut-être que dans leur imagination et qu’il n’y a aucune raison de suspecter une personne innocente. Jake serait d’avis d’être prudent, parce que, et il a les moyens de le prouver, dans la plupart des cas la cible est coupable. Tous persuadés qu’ils ne seraient jamais pris en flagrant délit et ce n'est pas être méchant de dire qu'ils sont très naïfs. Ce n’est pas faute de le répéter mais s’il y a bien une erreur à ne pas commettre, c’est celle de sous-estimer l’instinct féminin -peu d’hommes viennent le voir pour des affaires d’infidélité, il faut bien l’avouer-.  

Bien trop occupé à vider les fonds de bouteilles depuis quelques jours, Jake n’avait pas pris la peine de faire des recherches sur cette madame Becker. Loin même d’imaginer qu’il s’agit de la mairesse de Klamath Falls. D’ordinaire il fait au moins une petite recherche google, facebook, instagram. Pour se faire une idée du personnage. Il voyait donc aujourd’hui une parfaite inconnue, d’autant qu’il ne lit que très peu Scandale, sauf lorsque son nom est cité. Du coup toutes les rumeurs de cette ville, sur tous ces habitants, en réalité ils ne les connait strictement pas. La dernière en date serait l’invention d’un autre gamin Owens. Un dont l’identité lui est familière d’ailleurs, et ô comme il serait déprimé d’être le géniteur d’un mioche de boysband.  

Enfin, l’heure n’est pas à l’égarement, ses pensées divaguent facilement et se reconcentrer peut devenir très compliqué. Donc il est attentif, fixe son interlocutrice. « C’est bien moi, merci. » Son regard sur le cabinet du détective et son équipement dépassé en disait long. Certes, il n’avait pas le dernier Mac, son PC tournait encore sous vista et son fond d’écran se résumait à un dégradé bleu-vert immonde. Son bureau datait de Jérusalem –si tant est qu’il y ait eu des vieux meubles victoriens cheap à l’époque de sa création- et son fauteuil aussi abîmé que peut l’être un fauteuil d’occasion récupéré dans une brocante. Pour autant l’on s’y sent bien dans cet appartement, rien n’est moderne oui, il pourrait tout aussi bien appartenir à un papy que l’on n’y verrait que du feu. Mais c’est confortable et chaleureux. Pas terne comme ces meubles “vintage” que l’on peut voir depuis quelques années. De plus son travail n’en reste pas moins excellent, tant que les résultats sont là, pourquoi se préoccuper du reste ? « Avant, il faut que vous sachiez que je ne souhaite vraiment pas que notre collaboration s’ébruite, étant la mairesse de la ville, ça ne me serait vraiment pas bénéfique si d’autres venaient à savoir que je fais appel à un détective privé. » Ledit détective admirait le sac à côté de la femme, en imagine déjà parfaitement le contenu avant de plisser les yeux, le cerveau ayant fait traitement d’une information importante.

— La mairesse ? Les yeux écarquillés, l’homme se lève, fait une révérence exagérée, peu adaptée aux circonstances. Votre majesté. Si j’avais su j’aurais au moins acheté des petits gâteaux. Il soupire, se rassoit et prend un ton sérieux. Ne vous inquiétez pas m’dame, ce n’est pas non plus dans mon intérêt de divulguer des informations sur mes clients, je perdrais mes cinq étoiles sur google et je tiens à mes cinq étoiles sur google. Avec moi votre secret est bien gardé.

Bien sûr, il pouvait tout à fait comprendre pourquoi certaines personnes sont sceptiques en le voyant comme ça, avec sa personnalité si extravagante, son alcoolisme poussé à son paroxysme. Mais il était bon dans son travail, c’est d’ailleurs l’un de ses seuls atouts : être bosseur. Certainement une manie de commando, d’être toujours alerte, prêt à bosser aux aurores sans aucune plainte, de n’abandonner sous aucun prétexte. Ses manières de bosser sont peu orthodoxes j’en conviens, mais les résultats sont là, et ils le seront toujours. « Mon mari s’appelle Daniel Becker […] C’est là où vous intervenez… » Il hoche la tête, prend quelques notes sur son ordinateur.  

— Ah cette emmerdeuse de Scandale, toujours à se mêler de tout celle-là. Il lève les yeux au ciel. Que fait votre mari dans la vie ? Qu’est-ce qu’il aime faire de ses journées off ? J’ai besoin d’en savoir le plus possible sur ses journées typiques, les endroits qu’il fréquente régulièrement, les gens qu’il côtoie le plus souvent. Il n’y a pas de petite information, tout est bon à prendre.

On lui avait dit que le détective Owens était le meilleur dans son domaine et bien que Ellen avait du mal à y croire, assise là dans son "bureau", elle avait décidé de quand même faire appel à lui. Elle n'avait de toute façon personne d'autre à disposition et si les rumeurs étaient vrais, elle était chez la bonne personne. C'est juste que la mairesse était quelqu'un qui pensait que l'habit faisait le moine et c'était une des raisons pourquoi elle ne supportait pas que son fils soit couvert de tatouages, lui demandant de porter des manches longues quand il venait la voir. C'est donc normal pour elle que son esprit plein de préjugés se demande si le détective en face d'elle était bel et bien compétant.  

Ellen était un dur public en ce qui concernait l'humour, mais Owens eut la chance de recevoir un sourire de sa part et elle répondit avec un faux accent anglais :

-J'espère que vous aurez des petits gâteaux à la cannelle la prochaine fois. Et si tout ce passe bien, je n'hésiterais pas à rajouter un cinq étoiles à votre palmarès.

Il lui avait assuré qu'il garderait le secret, maintenant, est ce que Scandale allait les laissé tranquille ? Rien n'était moins sur, mais elle n'hésiterait pas à démentir si on la disait associée à Owens.

Elle commença à expliquer pourquoi elle était venu le voir, que c'était pour suivre Daniel et ce que la blogueuse de la ville avait fait. Emmerdeuse était un bon mot que Owens choisit, c'était clairement le cas. Elle répondit à ses questions :

-Mon mari est le directeur de Becker's Whiskey, il est souvent en voyage à cause de son entreprise, mais quand il revient, il aide le club de football américain junior de la ville, il se prélasse sur le canapé et il aime sortir dans les bars boires des coups avec ses amis. Il me semble qu'il est un client régulier du Pikey. Et l'un de ses meilleurs amis est James Halstead.

James était aussi le voisin de Ellen et Daniel, un ami de longue date de son mari. Partenaire de beuveries quand ils étaient plus jeune, mais il s'était assagit il y avait quelques années, c'était juste Daniel qui continuait à emmener son ami boire. Curieuse, elle demanda :

-Vous vous y prenez comment? il est souvent à l'extérieur de l'Etat, donc j'imagine que c'est difficile de le suivre là, mais je suis prête à payer plus cher si vous avez besoin de quoi vous payer des hôtels ou transports.

Jake est habitué que l’on doute de ses compétences, c’est assez récurrent et pour être tout à fait honnête, il comprend pourquoi on ne lui fait pas confiance. Il n’a pas l’allure d’un détective privé. Il n’est pas très à la page question informatique, n’est pas non plus l’homme le plus classe du monde, on ne va pas se la cacher. Néanmoins malgré tous ces inconvénients il parvient à maintenir une réputation des plus nobles dans le domaine. Bon, il n’y a pas foule côté concurrence donc peut-être est-il aidé de ce côté-là. Le fait est qu’il garde ses étoiles tout en étant alcoolique et légèrement cinglé sur les bords, ce qui relève, et vous ne pouvez le nier, du talent –ou du miracle, tout est une question de point de vue-. « J'espère que vous aurez des petits gâteaux à la cannelle la prochaine fois. Et si tout se passe bien, je n'hésiterais pas à rajouter un cinq étoiles à votre palmarès. » Il rit franchement. Pour une personne de son statut, une aussi impressionnante femme d’affaire, elle aura certainement droit à des services supplémentaires non comprit dans le forfait. Le petit goûter à chaque rendez-vous, une attention toute particulière à son dossier. Bref, elle n’aura aucun autre choix que de lui mettre cinq étoiles. En prime un petit commentaire anonyme si possible mais peut-être serait-ce trop demandé ?

— Pour vous ce ne sera pas des spéculoos mais des cinnamon rolls fait maison ! S’exclame-t-il. Si vous vous posez la question, oui, c’est clairement du favoritisme. Pas de la lèche, j’accepterais un quatre étoiles avec fierté.

Ce ne serait pas le premier. Jamais on n’a mis en doute son travail mais certains clients lui enlèvent une étoile pour diverses raisons idiotes. Alcoolisé pendant un rendez-vous –en même temps il serait plus simple de compter le nombre de jours où il est réellement sobre- Manque de respect –aller donc supporter un gamin de cinq ans qui vous tâchent vos dossiers avec de la pâte à tartiner sans l’insulter, impossible pour Jake- tout un tas de raisons parfaitement absurdes, justifiées certes, mais qui font son charme...non ? « Mon mari est le directeur de Becker's Whiskey, il est souvent en voyage à cause de son entreprise, mais quand il revient, il aide le club de football américain junior de la ville, il se prélasse sur le canapé et il aime sortir dans les bars boires des coups avec ses amis. Il me semble qu'il est un client régulier du Pikey. Et l'un de ses meilleurs amis est James Halstead. » Le quadragénaire tique lorsqu’il entend le Pikey. Difficile d’investiguer dans un endroit inaccessible mais il a plus d’un tour dans son sac, pas de quoi s’affoler. Ceci dit l’information qu’il retient le plus, c’est la direction du Becker’s Whiskey. Ce serait un crime de ne pas connaître cette entreprise, lui qui est fervent consommateur, voilà une affaire qui semble des plus intéressantes...espérons qu’il passe le plus clair de son temps en fabrication, se cacher parmi les bouteilles ça, il connaît !  

— Et ben, on a des points en commun lui et moi. Plaisante-t-il. Je note tout ça dans le dossier, c’est un bon début, j’ai commencé des missions avec bien moins que ça !  

Il aime les challenges donc ça ne le gêne pas mais il est vrai que lorsqu'un client recherche une personne dont il ne peut faire que la description physique, c’est tout de suite plus compliqué. Loin d’avoir peur cependant, parce que la difficulté, l’alcoolique adore ça. Après tout c’est ce qui fait sa notoriété, sa marque de fabrique : réussir l’impossible. « Vous vous y prenez comment ? il est souvent à l'extérieur de l'Etat, donc j'imagine que c'est difficile de le suivre là, mais je suis prête à payer plus cher si vous avez besoin de quoi vous payer des hôtels ou transports. » Le détective empoigne une flasque de rhum à sa gauche, la porte à la bouche avant de la déposer sur le bureau dans un soupire d’extase.  

— Je n’ai pas de limite de déplacements tant qu’ils sont à la charge du client. Pour le reste je suis relativement abordable. J’aurais simplement besoin de plus de précisions sur la femme avec laquelle il vous a trompée. Je suis désolé de vous demander ça mais pensez-vous qu’il soit possible qu’ils soient toujours en contact ? Il note quelques informations sur son vieil ordinateur. De toutes manières, même s’ils ne le sont pas, il me faudra son nom ainsi que celui du fils illégitime. Votre relation avec eux aussi, leur avez-vous déjà parlé ? Je sais que j’suis intrusif mais plus j’en saurais, mieux ce sera. Il dissipe sa mine sérieuse par un sourire taquin. J’espère vraiment que votre mari se comporte comme un gentleman. Parce qu’entre nous, le contraire serait complètement con. Faut être fou pour aller voir ailleurs quand on a une femme aussi charismatique que vous...il a bien de la chance, j’espère qu’il s’en rend compte.

Elle lui promis que si la prochaine fois il lui ramenait des gâteaux à la cannelle, elle lui laisserait une critique 5 étoiles. C'était évidemment une plaisanterie, la note qu'elle donnera dépendra de la qualité du travail de Owens. Après, elle ne dirait pas non à un gâteau à la cannelle, c'était toujours agréable et s'il disait vrai pour le cinnamon rolls, elle ne pouvait en être que ravis.  

-J'attends donc mon cinnamon rolls au prochain rendez vous alors. Je ramènerais des boules au rhum et chocolat alors. J'ai l'impression que vous semblez apprécier ça.

Elle lança un regard sur la bouteille de rhum qu'elle voyait non loin de Owens. Il fallait savoir que Ellen était un véritable cordon bleu, elle aimait cuisinier et passer du temps dans sa cuisine. Ça lui permettait de se vider l'esprit et voir le visage s'illuminer des gens quant ils goûtaient ses plats la rendait toujours heureuse.

La discussion continua et Ellen décrivit Daniel du mieux qu'elle pouvait pour que le détective est assez de détails pour le suivre et le reconnaître. Quel était les points comment entre Owens et son mari ? Le fait qu'ils avaient des enfants cachés ? Qu'ils aimaient le Pikey ou qu'ils trompaient leur femme ? Ellen ne préféra pas savoir.

La mairesse précisa qu'elle était d'accord pour payer les transports et logements du détective. Elle avait clairement le budget pour ça et heureusement pour elle, Daniel et elle avait des comptes séparés. Ils en avaient un commun, mais elle préférait que son mari ne soit pas au courant qu'elle payait un détective privé dans son dos... Elle fronça les sourcils en observant Jake boire une gorgé de son rhum, impossible de ne pas remarquer son jugement. Heureusement qu'il avait une belle moustache où elle lui aurait fait une remarque. Elle espérait qu'il aurait quand même les yeux enfaces des trous quand il suivrait son mari. Elle ne put retenir un rire quand il lui demanda si elle avait des informations sur l'autre femme :

-Si vous voulez l'interroger, elle se trouve au cimetière de Klamath Falls, en dessous de la tombe avec écrit Grace Becker. Je jure que je n'y suis pour rien.  

Elle leva sa main droite comme si elle prenait serment. Elle n'avait jamais aimé Grace, s'étant toujours senti en compétition contre elle, femme plus vieille et qui semblait avoir tout pour elle. Clairement, Ellen avait eu raison de se méfier d'elle, mais elle n'avait jamais pu déclencher sa vengeance, car elle mourut malheureusement que quelques mois suivant la découverte de la vérité après des mois de maladies. Elle continua à expliquer, plus sérieusement cette fois:

-C'est un peu compliqué, mais je vais vous étaler tout le linge sale de mon mari. Grace était la femme du frère de Daniel, avant que l'on soit en couple, ils ont eu une affaire et Emil Becker est né, ils ont choisit de garder la paternité de Daniel secrète et pendant les 30 années suivantes, on ne m'a rien dit non plus. Je ne suis au courant que d'une seule autre "mégarde" entre Daniel et Grace après notre mariage. Il m'a assuré que c'était tout.

Et ne disant jamais non aux flatteries, Ellen approuva les dernières affirmations de Owens. Elle secoua la tête négativement et prenant un ton exaspéré elle dit :

-Exactement ce que je pense, il ne s'en rend absolument pas compte de la chance qu'il a.

Elle finit par un sourire, elle appréciait les mots du détective.

« J'attends donc mon cinnamon rolls au prochain rendez-vous alors. Je ramènerais des boules au rhum et chocolat alors. J'ai l'impression que vous semblez apprécier ça. » Peut-il être si transparent que cette première impression le caractérise parfaitement ? Lui qui pensait pourtant être mystérieux, voilà que même la mairesse connaît son amour pour l’alcool sous toutes ses formes ! Non pas qu’il en ait particulièrement honte, c’est un fait avéré et visiblement connu du monde entier, mais pour les affaires c’est tout de suite moins pratique. Ceci dit, et il en est le premier étonné, cela ne semble pas gêner la quinquagénaire qui le fourni même en bouteille. Une monnaie d’échange qu’il n’a que très peu utilisée jusqu’ici mais qui, vraisemblablement, est une idée de génie.  

— Ce serait trop demandé d’ajouter plus de rhum que de chocolat ? Plaisante-t-il -à moitié- Plus sérieusement, vous aurez vos cinnamon rolls ou je n’m’appelle pas Jake Owens !  

Et lorsqu’il fait une promesse, il ne l’oublie jamais. Il n’y a qu’à voir les nombreuses affaires résolues au cours de sa carrière pour en témoigner. Si les cinq étoiles dépendent de sa performance, nul doute qu’il les aura sans sueur aucune. « Si vous voulez l'interroger, elle se trouve au cimetière de Klamath Falls, en dessous de la tombe avec écrit Grace Becker. Je jure que je n'y suis pour rien. » Peu certain d’avoir bien entendu son discours, Jake marque une pause d’incompréhension. Lorsqu’il réalise le sens de ces mots, Jake s’esclaffe, quand bien même la situation ne s’y prête pas. S’il s’attendait à une honnêteté pure et dure de la part d’Ellen Becker, c’est agréablement surpris qu’il découvre une facette de la mairesse qui, il en est persuadé, doit être l’un des rares à connaître désormais. D'ordinaire elle doit être tout l'opposé de ce quelle veut bien montrer aujourd'hui. C’est ça le monde de la politique, du faux-semblant constant, des sourires commerciaux destinés aux citoyens pour apaiser les tensions et éviter tout débordements. Il ne peut qu’imaginer la fatigue que cela doit procurer en fin de journée, encore un métier qui n’est pas fait pour lui !  

— Celle-là, je l’avais pas vu venir ! S’exclame-t-il. Vous me direz, ça m’fait moins de taf ! Il marque une pause. Enfin j’veux dire...rest in peace ma sœur.

Le détective pointe le ciel du doigt, pose une main sur son cœur avant d’écrire quelques notes. Il gribouille l’information, persuadé qu’elle ne lui sera d’aucune utilité mais ne sait-on jamais, mieux vaut prévenir que guérir. D’autant qu’il peut bien être très doué dans son domaine et en parfaite forme physique, sa mémoire elle, n’est pas des plus performantes. Alors il écrit sans cesse, pour être sûr de n’oublier aucun détail qui pourrait être utile à une enquête. Voyez donc son réfrigérateur couvert de post-it, preuve que son cerveau vieillit autant que son foie s’abîme. « C'est un peu compliqué, mais je vais vous étaler tout le linge sale de mon mari. […] Il m'a assuré que c'était tout. » Le détective lève les yeux au ciel, ahuri par le culot du type. Se taper la femme de son frère, lui faire un mioche et mentir pendant trente longues années, le summum de la connerie masculine ! Fort heureusement Jake avait une conviction, celle d’être fidèle. Jamais il ne lui est venu à l’idée de tromper ses compagnes. C’est ce genre d’homme qui font que les femmes ne leur font plus confiance ! Sont-ce des bêtes ? Quel intérêt y-a-t-il donc à prêter serment à l’église si la première demoiselle qui passe suffit à titiller popol ?  

— Et bah, j’espère qu’il se considère chanceux d’être encore votre mari ! Tromper sa femme et trahir son propre frère en faisant un mioche à sa femme...désolé d’être aussi cru mais les types comme ça moi, j’ai envie de les castrer.

Quant au fait qu’il ait assuré à sa femme qu’il n’y a eu qu’une seule autre “mégarde”, il ne faut pas être diplômé d’Harvard pour sentir le mensonge à des kilomètres. Généralement, un homme qui trompe une fois trompera à nouveau tôt ou tard. Dans de rares cas les maris sont réellement honnêtes mais avouons-le, la plupart du temps ils n’ont que de belles paroles. Mais il n’en dit pas mot à sa cliente, il ne voudrait pas l’inquiéter pour ce qui ne pourrait éventuellement pas être le cas, même si d’expérience, il sait bien qu’un type dont la femme est souvent occupée par son travail n’est pas des plus fidèles. Sa profession étant ce qu’elle est...bref, ne mettons pas la charrue avant les bœufs. « Exactement ce que je pense, il ne s'en rend absolument pas compte de la chance qu'il a. » Le quadragénaire tape son bureau de la paume droite.  

— On est d'accord ! Si j’vous avais eu pour femme, jamais j’serais allé voir ailleurs, des comme vous on n'en croise pas tous les jours ! Avoue-t-il. J’peux vous dire que j’suivrais votre gonze à la trace, à la moindre suspicion je vous contacte !  

Excellente cuisinière et pâtissière, Ellen était persuadée que sa recette de boule de rhum plairait à Jake. En revanche, elle n'était pas certaine que les cinnamon rolls du moustachu seraient à son goût. Elle avait du mal à l'imaginer dans la cuisine, revêtu d'un petit tablier et en train de préparer des pâtisseries. Heureusement, il pouvait toujours les acheter en boulangerie, ce qui serait certainement plus sûr aux yeux d'Ellen.

La conversation se poursuivait au sujet de la raison de la présence d'Ellen devant Owens. Elle ne put s'empêcher d'ironiser lorsque celui-ci lui demanda plus d'informations sur Grace. Cette dernière était indiscutablement hors d'état de nuire, et cela n'était absolument pas la faute d'Ellen. Mais ça lui avait enlevé la possibilité d’avoir une discussion avec elle. Elle devait rester le reste de sa vie sans connaître les véritables motivations de Grace pour avoir interdit à Daniel de dire la vérité à Ellen.

- Oui, c'est vrai, ça vous laisse une personne en moins à enquêter. Et pour moi, une personne en moins à craindre.

Il était maintenant temps pour Ellen de mettre de côté son orgueil et son honneur. Si elle voulait que Owens fasse correctement son travail, elle se devait de tout lui révéler sur Daniel, y compris tous les mensonges et les tromperies auxquels il avait eu recours. Elle fut assez surprise d'entendre Jake condamner aussi fermement les actions de Daniel. Elle avait entendu dire qu'il était de la famille de Misha Kane, dont elle avait lu les aventures dans les articles de Scandale, comme s'il était le héros d'un mauvais livre. Jake ne partageait apparemment pas la même philosophie de vie, ce qui était une agréable surprise. Elle approuva en souriant légèrement et dit:

- Il n'en aura de toute façon plus besoin, vu le nombre d'enfants qu'il a déjà eu.

Ses trois enfants avec Ellen et le fils surprise, il en avait clairement assez pour un seul homme. Ellen ne voulait que deux enfants, un nombre qui lui semblait idéal. Cependant, elle avait fini par tomber enceinte de jumeaux, changeant ainsi ses plans. Elle rit en entendant Jake la complimenter à nouveau :

- Vous êtes décidément un flatteur, Monsieur Owens. Si vous n'étiez pas tenu au secret, je vous aurais demandé d'expliquer tout cela à mon mari. Je vous fais confiance alors, vous avez mon numéro de téléphone, donc n’hésitez pas à me contacter. Ne passez pas par la mairie, je n’ai pas assez confiance en mon secrétaire pour qu’il puisse garder le silence…

Elle prit son sac, qu'elle avait posé par terre en arrivant, et en sortit une élégante bouteille de Whiskey Becker, qu'elle déposa sur la table. Elle demanda :

- En plus de la bouteille, combien vous dois-je comme avance ?

La cuisine n’était effectivement pas son activité favorite. Il faut dire que durant son enfance sa mère préparait les repas de la maisonnée puis une fois à l’armée, il se nourrissait uniquement de ration iyophilisée. Ce n’est qu’à son renvoi que Jake a réellement côtoyé une cuisine. L’entente n’étant pas au beau fixe entre elle et lui, l’alcoolique avait fini par se faire une raison et acheter des repas micro-ondables –ce qui n’est certes pas beaucoup plus qualitatif que ce qu’il mangeait en tant que commando. Alors non, il ne se risquerait pas à faire des cinnamon rolls pour la mairesse, ce serait de la folie pour un homme qui sait à peine cuire des pâtes que de tenter la moindre pâtisserie. Il doit bien y avoir une bonne boulangerie en ville pour faire le travail à sa place.  

« Oui, c'est vrai, ça vous laisse une personne en moins à enquêter. Et pour moi, une personne en moins à craindre. » Bien qu’il n’en ait rien laissé paraître, le détective était soulagé de voir que sa cliente avait le sens de l’ironie. Ce mot étant le parfait résumé du caractère de Jake, il paraît souvent plus méchant qu’il ne l’est réellement -enfin, selon lui en tout cas-.  

Concernant le sujet de la tromperie, l’alcoolique n’avait effectivement pas la même vision des choses que son cousin. Ce serait bien injuste de le comparer à ce minable abruti tocard enfoiré et toutes autres joyeusetés alors qu’il est, de ce point de vue-là, parfaitement gentleman. Jamais il n’a trompé une femme, l’acte en lui-même le révolte. Un homme, un vrai, ne court pas à gauche et à droite lorsqu’il a la chance d’être bien accompagné. Un homme, un vrai, communique avec sa concubine lorsqu’ils sont en désaccord. Si l’armée lui a bien apprit une chose, c’est les valeurs de la droiture. Une bonne conduite mène à un bon résultat, simple comme un et un font deux...bien que certaines de ses actions n’en soient pas révélatrices -mais ça c’est une autre histoire-. « Il n'en aura de toute façon plus besoin, vu le nombre d'enfants qu'il a déjà eu. » Jake émet un rire franc. Elle a plus d’humour qu’elle ne le laisse paraître dans ses apparitions publiques et bien qu’il soit ironique –ou non allez savoir-, le détective adore ça.  

— Me tenter pas, s’il vous trompe réellement j’aurais le coup de poing américain qui me démange.  

Il masse son poing, sourit, et reprend son sérieux. Tout cela est tout de même bien cliché comme situation. De sombres secrets au sein d’une famille influente et riche, un vrai scénario de film hollywoodien ! Pour autant la souffrance est bien réelle, elle, et Jake est toujours faible face à la douleur d’une femme. Tellement qu’il prend toujours un malin plaisir à révéler la vraie nature d’une personne et, dans de rares cas, il venge ses clientes en toute discrétion. Des photos embarrassantes envoyées au patron, de la drogue camouflée dans leur voiture avant un contrôle de police, un vêtement non payé dans le sac lors de la sortie d’une boutique, rien de bien méchant en soit. « Vous êtes décidément un flatteur, Monsieur Owens. […] Ne passez pas par la mairie, je n’ai pas assez confiance en mon secrétaire pour qu’il puisse garder le silence… » L’interlocuteur mime un “non” de l’index.  

— Non, non, j’aime pas le mot flatteur, ça fait faux-cul. Je dirais honnête plutôt. Avoue-t-il. Quant à votre secrétaire ne vous en faites pas, je ne lui en toucherais pas un mot...même si je trouve ça pas mal triste de devoir se méfier d’autant de personnes, décidément, vous n’avez pas l’air gâtée avec votre entourage, si j’peux me permettre. Il soupire et échange un regard avec son interlocutrice. Je vous contacterais comme d’habitude, par message.  

Lorsqu’elle déballe une magnifique bouteille de whiskey de son sac, Jake se frotte littéralement les mains. Ce n’est pas le genre d’alcool à cinq dollars qu’on trouve dans le supermarché du coin et ô comme il se fera un plaisir de la déguster dans la soirée devant un bon western. « En plus de la bouteille, combien vous dois-je comme avance ? »  

— Oh j’ose même pas imaginer son prix, merci m’dame ! S’exclame-t-il en empoignant la bouteille, tout sourire. Je me contenterais simplement des frais de déplacements s’il voyage dans un autre état ou à l’étranger, sinon, la bouteille me suffit.  

Idéalement, Ellen n’aurait pas eu besoin de faire appel à Jake, mais depuis un an, elle avait totalement perdu la confiance qu’elle avait envers Daniel. Elle avait toujours été douée pour faire comme si elle ne voyait pas les problèmes autour d’elle, ignorer délibérément les regards que lui et Grace se lançait dans le passé… Choisissant de croire que c’était simplement parce qu’ils s’entendaient bien tous les deux. Mais elle devait faire face à la réalité et donc être méfiante. S’il avait pu être infidèle avec Grace, peut-être l'avait-il été avec d’autres ou bien pire, peut-être l'était-il encore ? Elle nota mentalement la proposition de Jake de s’occuper du cas Daniel avec ses poings si elle le demandait. Ce serait peut être utile dans le futur.

Étant une femme assez fière, elle aimait les flâtteries et Jake était très fort pour ça. Même s’il assurait qu’il n’était que honnête et non flatteur. M’dam la Maire savait reconnaître des flatteries quand elle en entendait, mais ça ne la dérangeait pas, son égo appréciait. Si seulement Daniel pouvait prendre un peu exemple sur ce détective aux paroles et à la moustache bien agréable.

Elle fut rassurée d’entendre que Ricky ne rencontrerait pas Owens, vu la grande bouche que son secrétaire avait, toute la ville serait au courant des manigances d’Ellen avant que Scandale ne sorte un article. Si elle pouvait changer de secrétaire, elle le ferait, mais le contrat qu’il avait été comme du béton, l’ancien maire avait tout fait pour qu’il reste même s’il perdrait. Elle se trouvait donc avec un boulet… Heureusement, il n’était pas vilain, c’était une des seules choses positives qu’elle avait sur lui… Il n’était même pas capable de faire un café buvable et elle était persuadée qu’il ajoutait quelque chose quand il lui servait. Raison pour laquelle, elle achetait toujours du café à l’extérieur de la mairie. Elle balaya les inquiétudes de Jake, Ellen avait un peu l’habitude de se méfier de tout le monde, ce n’était pas nouveau pour elle et puis, elle avait aussi des alliés, comme la capitaine de la police, le lieutenant.

- Ne vous inquiétez pas, je sais trouver des alliés.

Une des raisons pour laquelle elle était venue voir Jake, avec un peu de chance, il était lui aussi devenu un de ses alliés. Elle sortit la bouteille qu’elle avait emmenée comme moyen de paiement. Toujours un peu surprise, elle demanda si c’était tout ce qu’elle lui devait, elle avait pris une des meilleures de l’entreprise, mais tout de même, ce n’était pas avec de l’alcool que Owens allait se nourrir. Mais à sa réaction, elle ne voulut pas insister, il avait l’air bien heureux de recevoir ce présent. Elle acquiesça et se prépara à partir :

- Très bien, vous me ferez passer une facture une fois par mois si ça vous va ? Et je vous ferai également passer quelques bouteilles. Merci de prendre mon affaire. Ce n’est pas sûr que quoi que ce soit en ressortent et ça m'arrangerait, mais mieux vaut prévenir que guérir. Est ce que je dois signer un contrat ?

C’était peut être mieux d’avoir tout leur accord par écrit. Même si c’était un peu dérangeant de garder des traces de leur échange. Elle comprenait que Owens voulait assurer ses arrières.

Comment aurait-il réagi lui, si une femme l’avait trompé ? Tout dépend de son affection pour elle, de ce qu’il serait capable de faire par amour pour sa chère et tendre. Jake est capable de bien des choses, à priori il n’aurait même aucune limite. Il n’accorderait déjà aucune seconde chance, parce que s’il y a bien un adjectif qui qualifie bien l’alcoolique, c’est rancunier. Jamais il ne blesserait une femme, ça c’est évident, sans doute l’insulterait-t-il sous le coup de la colère mais c’est tout. L’homme, par contre, s’en prendrait plein la face. Jake s’assurerait que personne ne serait là pour le déranger, pour retenir ses coups, quitte à finir derrière les barreaux. Il a déjà vécu pire, au moins en prison, on a de quoi se remplir l’estomac...de bouffe de cantine certes, mais qu’importe la qualité quand on est affamé.

Tout ça pour dire qu’il ne serait pas aussi digne que peut l’être Ellen, aussi classe face à une situation qui ne l’est pas. Cela n’enlève pas la peine qu’elle a dû ressentir, bien sûr, mais elle a le mérite de ne pas baisser le regard, de se montrer forte comme sa profession doit le lui imposer. C’est une femme qui mérite d’être aimée d’un homme bon et honnête, elle a de la prestance et du charme, son époux lui arrive-t-il à la cheville ? A-t-il eu tellement honte de sa médiocrité qu’il en est venu à cet extrême ? Dans tous les cas, aucune excuse ne peut être acceptable. « Ne vous inquiétez pas, je sais trouver des alliés. » Voilà qui est rassurant. Bien qu’il soit de son côté, sa seule présence n’est pas suffisante. Il est bon allié certes, mais piètre épaule sur laquelle pleurer. C’est l’un de ses nombreux défauts, Jake ne sait pas réconforter son entourage, le maximum qu’il puisse donner c’est une faible tape amicale dans le dos, et encore, dans ses bons jours.

— Ravi de le savoir !  

Bien heureux de recevoir une bouteille ça oui, il l’était ! Bien entendu qu’il n’y avait rien de nourrissant là-dedans mais à ses yeux ce simple liquide vaut bien un repas cinq étoiles. Peut-être serait-il temps qu’il mange quelque chose de solide...encore faudrait-il savoir cuisiner. « Très bien, vous me ferez passer une facture une fois par mois si ça vous va ? […] Est-ce que je dois signer un contrat ? » Après quelques prises de notes, Jake mime un non de la main droite, peu à l’aise avec toute la paperasse administrative. Il ne s’en occupe qu’en dernier recours, quand il n’a pas le choix...sans ces obligations il est certain qu’il n’y aurait que très peu de feuilles A4 dans ce qui lui sert de bureau.

— Non pas besoin, quand j’peux m’éviter de la paperasse, j’le fais. En plus y aurait une trace écrite de notre accord et vu votre statut ce serait une putain de mauvaise idée. Il sourit à son interlocutrice. Bien, j’ai tout ce qu’il me faut, je vous tiens au courant de mes déplacements, vous aurez une facture tous les débuts de mois. Bonne journée à vous, au revoir m'dame la mairesse !

Le quadragénaire se lève, serre la main de la mairesse puis ferme derrière elle. Ellen Becker est certainement l’une de ses meilleures rencontres...et son meilleur contrat.