It's obvious, someone has already passed before us w/ Daphné #2

La toute dernière fois où je me suis retrouvé dans ce rôle de profiler, c’était il y a deux années en arrière, à la poursuite d’un homme devenu un tueur en série, c' est ma toute dernière affaire, mais avant tout ma plus grande défaite. Je me suis toujours promis, depuis ce jour funeste, de ne plus retomber dans les penchant de mon arrogance et la mettre au profit des fédéraux ou force de l’ordre. Une promesse que je ne peux pas tenir aujourd’hui, mais malgré toute la bonne volonté du monde, regardez cette détective et dîtes moi qui serait en mesure de lui refuser son aide ? Elle tente de garder le contrôle de ses émotions, parce qu’elle a conscience que c’est ce qu’elle doit faire, mais à travers ses iris, il n’y a que de la peur qui est retranscrite, sans parler de ses gestes. Son subconscient agit sans qu’elle ne s’en rende compte et je suis en mesure d’avoir de nombreuses informations en ma possession sans qu’elle n'ait réellement besoin de le dire. J’ai passé plusieurs années à travailler avec les fédéraux et je me suis toujours retrouvé avec des agents à mes côtés pour me surveiller, ma réputation n’est plus à faire, je ne compte pas changer qui je suis, même deux ans plus tard, à la différence que cette fois-ci je me retrouve en binôme avec une tête brûlée, j’en trépigne en avance, mais je ne suis pas sûr que ce soit le choix le plus judicieux qu’Alexa ait pu faire. « Ca fait longtemps que vous êtes enceinte ? » Je ne suis pas connu pour être l’homme le plus à même de prendre des pincettes, une pensée, une question, c’est ainsi. Mains dans les poches de ma veste, je laisse mon regard se tourner vers la détective, alors que nous avançons dans le couloir de cet immeuble. C’est un sujet qui n’a jamais réellement évoqué dans le bureau de ma grande soeur, mais c’est une information qui a fini par arriver jusqu’à mon attention, je ne doute pas une seconde de ce que je suis en train d’affirmer. « Vous avez conscience que vous avez demandé à faire équipe avec la seule personne qui ne va pas sortir les mains de ses poches pour couvrir vos arrières ? » Contrairement à tout détective, agent de police ou des fédéraux, je ne porte aucune arme et à la vue de mes talents de tireur, c’est une très bonne chose, seulement accepté d’être mon binôme, c’est accepter d’être le seul à pouvoir réellement agir, surtout avec un inconscient aux idées saugrenus. Je ne cherche pas à détourner mon regard de Daphné, alors que nous sommes devant la porte de l’appartement d’Emil, je ne peux masquer ce sourire qui se présente sur mon visage en la voyant clé à la main. « Et en plus vous avez les clés de son appartement. » Je suis beaucoup trop amusé par la situation, en soit ce n’est pas plus mal, après tout, ça me permet de ne pas penser de ne pas rester bloqué dans mon passé. « C’est à se demander pourquoi tout le monde ignore votre histoire, ni même pourquoi vous n’habitez pas ensemble. » Je ne peux m’empêcher de faire référence à une histoire inconnue aux yeux de leur entourage, inconnu n’étant pas le bon mot, ils ne semblent pas avoir été les plus discrets. Appartement ouvert, je ne laisse pas le temps à la détective de prendre son arme, mon objectif est d’entrer et c’est ce que je suis en train de faire, ne prenant pas en compte les mises en garde de ma partenaire improvisée. « C’est évident qu’il n’y a plus personne dans cet appartement, la seule chose que je souhaite c’est rattraper le retard qu’on a pris. » Je ne crains pas pour ma vie en mettant les pieds dans des lieux que je ne connais pas, sortant enfin mes mains des poches de ma veste, alors que mes yeux sont en train de naviguer tout autour de moi, au premier abord, personne n’est venu ici. « Nous y voilà, tout commence ici. » Au première abord n’est jamais une vérité, puisqu’il suffit de pénétrer dans ce qui semble être le salon, pour y voir une pièce retournée, complètement fouillée, mais qui ne masque pas ces traces de sang présentes au sol, une théorie confirmée, c’est ici qu’ils se sont chargée de l’enlever.

 Se retrouver dans les couloirs de l’immeuble d’Emil, en compagnie de Shay – l’homme pour lequel Emil lui avait fait une scène de jalousie récemment – tenait tout de même d’une ironie sans nom du destin. D’autant qu’ils se retrouvaient à faire équipe pour retrouver le policier. Daphné puisait dans toutes ses ressources pour se concentrer sur leur mission, essayer de faire abstraction de ses sentiments, porter un regard strictement professionnel et détaché sur l’affaire. Conserver un minimum de sang-froid, ne pas céder à la tentation du lâcher prise et du dérapage qui s’en suivrait, forcément, avec les conséquences dramatiques qui en découleraient sans aucun doute. Mais l’effort requis était surhumain. Lorsque Shay brisa le silence qui s’était instauré entre eux, elle se figea sur place, croisa son regard. Comment avait-il deviné sa grossesse ? Elle-même ne le savait que depuis le matin même, malgré que cela lui paraisse une éternité. Elle pinça les lèvres un bref instant avant de répondre. A quoi bon nier de toute manière ? « Vous êtes vraiment très doué dans votre domaine… je ne le sais que depuis ce matin, et vous êtes déjà au courant. Je suis impressionnée. » Elle haussa un sourcil, ne cherchant pas à s’étaler plus sur le sujet – ce dernier ne la concernant qu’elle et Emil -  avant de se remettre en marche en direction de la porte d’entrée de l’appartement d’Emil. Shay revenait à la charge, tout en changeant néanmoins de sujet. Cette fois-ci, elle retint un sourire narquois. « Vous vous servez de votre super cerveau et moi de mon flingue. Vous inquiétez pas, je suis une excellente tireuse. » ironisa-t-elle, avant de s’immobiliser devant la porte, la clé dans sa main. Shay Carter était décidemment un homme plein de surprises, pertinent, même si il était sans filtre dans ses rapports avec l’autre. Mais cela n’était pas pour lui déplaire. Elle détestait que l’on prenne des pincettes avec elle ou que l’on tourne autour du pot. La transparence de Shay à son égard était de ce fait bien reçue et saluée par la détective. Pour l’heure, le profiler semblait s’amuser du fait qu’elle avait les clés de l’appartement. « On a décidé ce week-end d’officialiser auprès des autres notre relation à notre retour. » se borna-t-elle à répondre, quand il se demanda pourquoi ce n’était pas encore fait. Sa gorge se serra à ce souvenir. Les évènements ne leur avaient pas laissé le temps de mener à bien leur projet.

Les clés s’avérèrent finalement inutiles, la porte n’étant pas verrouillée. Le battant s’ouvrit lentement, et Daphné sortit son arme par réflexe, même si il était quasi certain qu’il n’y avait plus personne à l’intérieur depuis plusieurs heures. Shay pénétra sans attendre qu’elle ne sécurise les lieux, lui arrachant un grognement de protestation. En guise de réponse, il verbalisa ce qu’elle avait elle-même déduit : l’appartement était désert. « La prochaine fois, laissez moi faire mon taf de couvrir vos arrières quand même. J’ai pas envie qu’Alexa m’étripe si il vous arrive quoi que ce soit. » grommela-t-elle, plus pour la forme que pour le fond. Puis s’immobilisa face au salon sans dessus dessous. Son regard parcouru le désordre, tiroirs ouverts, vidés, contenu éparpillé dans la pièce,  meubles renversés, avant de s’arrêter sur les traces de sang qui maculaient le sol. Le sang d’Emil… ou d’un ravisseur, corrigea une petite voix dans sa tête. Emil s’est forcément débattu, combattu, il a pu en blessé un lui aussi. Son cœur cognait douloureusement dans sa poitrine tandis que des images violentes défilaient devant ses yeux. « Je vais appeler une équipe scientifique pour qu’ils relèvent les empreintes et autres indices. » déclara-t-elle, s’étonnant elle-même de la fermeté de sa voix. Elle sortit des gants latex de sa poche et en tendit une paire à son acolyte. Pur réflexe de flic, sur une scène de crime. Etrange était cette sensation de dédoublement en elle, d’être dans l’appartement d’Emil où ils se retrouvaient souvent, les moments intimes partagés dans ces murs,  notamment sur le canapé qui gisait éventré devant eux. L’odeur familière d’Emil planait dans la pièce, et pourtant, c’était une scène de crime. D’enlèvement. Des agents allaient répandre de la poudre noires un peu partout pour récolter d’éventuelles empreintes. Tout allait être étiqueté, numéroté, photographié, mis sous scellé en guise de pièce à conviction. La routine dans son boulot. Sauf que là, c’était Emil. Elle rangea son Glock dans son holster, et appela le central pour obtenir l’équipe scientifique. Puis enfila les gants, et commença à fureter. « Quelles sont vos premières déductions monsieur le mentalist ? » demanda-t-elle alors à Shay, avant de se diriger vers la chambre, là où elle savait qu’Emil rangeait certains dossiers sensibles.

Mettre les pieds dans le plat est une spécialité de Shay Carter, c’est un petit peu ma marque de fabrique et surtout je ne fais preuve d’aucun filtre, principalement en matière d’observation, il me suffit d’une question, même malaisante, pour qu’elle passe la barrière de ma bouche. En ce moment précis c’est Daphné Montgomery qui est en train d’en faire les frais, alors que je ralentis mon pas, en tournant mon regard dans sa direction, suivant cet arrêt qu’elle a marqué face à la surprise de ma question. « Vous êtes vraiment très doué dans votre domaine… je ne le sais que depuis ce matin, et vous êtes déjà au courant. Je suis impressionnée. » Je ne peux masquer ce sourire qui se présente à mon visage, une grande partie du temps, la détective se trouve face à un homme meurtri souffrant des conséquences d’un passé beaucoup trop difficile à encaisser. Pour aujourd’hui et devant le retour d’un rôle qui sait faire apparaitre mon assurance, mon arrogance, mais également ce sourire, relevant de celui d’un enfant, quand je sais viser juste. « Je n’ai aucun mérite, c’est vous qui me l’avez dit. » Par de nombreux gestes qui ont fini par me plonger sur la bonne piste, une bonne dose de déduction et je n’avais plus le moindre doute. « Mais je comprends mieux pourquoi ça vous terrifie, pour cette partie je ne vais pas avoir besoin de chercher. » Il y a de nombreux points sur lesquels Daphné a de grandes raisons de se laisser aller dans ce sentiment d’angoisse qui doit l’envahir. Ce matin elle apprend être enceinte, une première surprise de taille, pour ensuite apprendre l’enlèvement et la séquestration de l’homme qui partage sa vie. N’importe qui a sa place serait submergé par un flot d'émotions négatives, sans réussir à savoir comment le gérer, mais pas elle, malgré les hauts et les bas qu’elle subit, je suis surpris par sa capacité à se concentrer sur cette affaire. « Vous vous servez de votre super cerveau et moi de mon flingue. Vous inquiétez pas, je suis une excellente tireuse. » Mes mains sont sagement au chaud dans les poches de ma veste, alors que mon sourire ne se déloge pas de mon visage et que mon regard se pose sur la détective. « Je ne m’inquiète pas, je sais que vous allez lui mettre cette balle entre les deux yeux. » Je ne peux m’empêcher de faire référence aux propos de Daphné, un peu plus tôt dans le bureau de ma grande soeur, avec un peu moins d’injures à l’encontre de Brooklyn, responsable direct de la disparition de l’enfant Becker, pour qui la course contre la montre est lancée. Mes iris sont en train de naviguer entre le regard de la détective, chacun de ses gestes, chaque réaction capable de capter derrière les traits de son visage ou encore, sur les clés qu’elle tient dans sa main. « On a décidé ce week-end d’officialiser auprès des autres notre relation à notre retour. » Ai-je déjà eu l’occasion d’avouer être l’homme parfait pour mettre les pieds dans le plat ? Ceci en est une preuve, en remontant les amères souvenirs d’une décision commune qu’ils n’ont pas eu le temps de mettre en place. « Vous allez officialiser cette relation, peut-être pas comme vous l’avez imaginé tous les deux ce week-end, mais vous le ferez. » Une promesse digne du profiler qui sommeille en moi et qui retrouve de sa splendeur dès la seconde où j’ai accepté d’accorder mon aide à Daphné et Alexa, quand bien même, la commissaire n’a guère eu le choix de ma présence. J’ai bien l’intention que ma toute dernière affaire, me permette de pouvoir me racheter de ce surplus de confiance en moi qui a eu raison de ma femme, le seul problème, je veux contrer mon arrogance avec mon arrogance.

Depuis le début de toute cette histoire, nous avons perdu beaucoup trop de temps pour nous permettre de continuer à voir les secondes et les minutes défiler en faveur de cet homme et de ces hommes qui détiennent Emil, parce qu’un seul homme ne peut mettre en place cet enlèvement. Je ne laisse pas le temps à Daphné de sécuriser les lieux, je ne lui laisse même pas le temps de faire entrer son arme en premier dans cet appartement, que je me fraye un chemin, me moquant de sa protestation, a quoi bon. « La prochaine fois, laissez moi faire mon taf de couvrir vos arrières quand même. J’ai pas envie qu’Alexa m’étripe si il vous arrive quoi que ce soit. » « Vous ne devez rien à ma sœur, je vous rappelle que je ne travaille pas pour elle. » Je reste tout de même surpris par l’acceptation d’Alexa, face à l’idée d’un binôme formé avec Daphné, le profiler ingérable et la détective impartiale face à la situation, il n’y a rien de plus risqué comme pari. « Je ne travaille pour personne, les fédéraux ont essayé et ce fut que des échecs cuisants pour eux, à chaque fois. » J’ai beaucoup plus de souvenirs de mes responsables qui perdent leurs cheveux face aux idées saugrenues qui ont été capables de me passer par la tête ou encore les nombreuses remontées de bretelles qu’ils ont tenté, en vain, de me faire à de nombreuses reprises. « Je vais appeler une équipe scientifique pour qu’ils relèvent les empreintes et autres indices. » Gant en latex couvrant mes mains, je ne prend pas la peine de répondre à Daphné, alors que mon regard est en proie à la moindre information et une chose est sûr, il y a tout autant à apprendre, que l’état de la pièce fait preuve de la violence de la situation. Je ne prête pas attention à la voix de la détective qui s’adresse probablement à la centrale, me concentrant sur une mise en situation que je suis en train de faire, en même temps que mon avancée. « Quelles sont vos premières déductions monsieur le mentaliste ? » Monsieur le mentaliste ? Ai-je réellement la tête d’un de ces charlatans ? C’est une question qui reste vide de réponse dans ma tête, me concentrant sur l’essentiel. « Il n’a pas eu le temps de se défendre. » C’est une certitude. « Ils étaient déjà là quand il est rentré et Emil l’a compris, sinon il n’aurait pas laissé son holster vide de toute arme n'importe où, seulement il a été surpris en arrivant ici. » En même temps de mon explication, je suis en train de refaire le cheminement d’une scène vieille de quelques heures, à laquelle je n’ai pas assisté, mais qui se dessine dans ma tête. « Ils l’ont eu par surprise, juste ici … Très probablement avec … » Je me trouve proche de ces traces de sang alors que mes iris flirtent avec le salon dans lequel je me trouve, avant de reprendre ma parole. « La voilà. Je suis presque sûr que la scientifique va vous dire que le sang qui est au sol, correspond à celui qui se trouve sur cette coupe, ou ce qu’il en reste. » Je ne suis probablement pas en train d’annoncer à Daphné se qu’elle souhaite entendre, je suis en train de mettre en oeuvre le déroulement de l’enlèvement de l’homme qu’elle aime, puisque ce sont ses propos qu’elle a elle-même prononcé tout à l’heure et il n’y a rien de très rassurant. Je n’ai pas le moindre doute, le sang qui se trouve tout juste à côté de moi, devant lequel je suis accroupi, ne peut être que celui d’Emil. « Brooklyn n’était pas seul. » Quand bien même, ce soit lui qui se soit chargé de faire le sale boulot. « Ils étaient au moins deux, regardez, il y a deux empreintes de chaussure dans ces traces de sang et elles n’ont aucune ressemblances. » Je ne suis pas en train de trouver des informations sur l’endroit où ils peuvent se trouver, je n’ai pas la moindre idée d’où peut se trouver Emil en ce moment précis, mais je peux m’imaginer quelques images de la scène vécue dans cet appartement au moment de l’enlèvement, je n’ai pas besoin de fermer les yeux.

 Shay Carter n’en finissait pas de la surprendre, même si pour l’occasion, c’était à ses dépens. Un sourire satisfait s’étirait sur ses lèvres tandis qu’il lui répondait d’un air frôlant la désinvolture. Daphné ne put s’empêcher d’arquer un sourcil étonné et circonspect. « Je ne vous ai absolument rien dit. » rétorqua-t-elle de prime abord, avant de prendre conscience qu’il faisait très certainement mention à un autre type de langage, le non-verbal. Une part d’elle-même était furieuse d’être aussi transparente aux yeux d’un inconnu. Shay poursuivait, tout en lui assurant qu’il comprenait pourquoi la situation actuelle la terrifiait autant. Terrifiée… Oui, bien évidemment qu’elle l’était, mais pas pour elle. Elle l’était pour Emil. Cette grossesse impromptue n’était certes pas dans ses plans, mais elle avait su gérer et composer avec Anya il y a vingt cinq ans, alors qu’elle était à peine sortie de l’adolescence, elle saurait gérer celle-ci aussi. Et à dire vrai, depuis ces dernières heures, elle avait en quelque sorte occulté délibérément son état, se concentrant uniquement sur la disparition d’Emil. « Pour l’instant, je me concentre sur notre affaire. Uniquement cela. » Daphné s’efforçait de parler d’un ton neutre, détaché. Affaire… pas Emil. Il fallait qu’elle dépersonnalise cette enquête si elle voulait espérer la mener à terme. Pour sa santé mentale à elle. Quand Shay souligna qu’elle serait celle qui mettrait une balle entre les deux yeux de Brooklyn, reprenant ses propres mots au commissariat, elle ne put s’empêcher d’esquisser une sorte de rictus, qui s’apparentait à un demi sourire ironique. « Bien vu. » souligna-t-elle. Daphné savait pertinemment qu’elle ne devait pas se laisser ronger par ce sentiment de haine et de soif de vengeance qui menaçait d’engloutir son cœur et son âme. Ce genre de réaction obscurcissait tout raisonnement et menait aux pires erreurs. Voire à la mort. Mais pourtant, quand les images de la vidéo qu’elle avait reçu sur son portable, montrant Emil suspendu par les bras, torturé, un goût de bile lui remontait dans la gorge et des envies de meurtre la saisissaient avec une violence peu commune. La voix de Shay l’extirpait de ses sombres pensées, lui promettant qu’ils officialiseraient leur relation auprès de leurs proches avec Emil. Bien évidemment, aussi perspicace soit-il, il n’en savait rien, c’était le genre de propos que l’on tenait lorsque l’on voulait rassurer une personne coûte que coûte, le genre de propos qu’elle-même désirait ardemment entendre, consciemment ou non. Elle se contenta d’un hochement de tête en guise de réponse.

Quelques instants plus tard, elle se retrouvait avec son partenaire improvisé au milieu de salon sans dessus dessous, tandis que le profiler retraçait à sa manière les événements qui s’étaient déroulés entrer les murs de l’appartement. Une équipe scientifique était en route suite à l’appel de Daphné. Elle demeurait immobile au centre de la pièce, tandis que Shay décrivait la scène telle qu’il la voyait. Sa voix lui parvenait, presque lointaine, tandis qu’elle-même visualisait mentalement le combat qu’avait du mener Emil contre son ravisseur. Ou plutôt ses ravisseurs, à en croire Shay. Daphné du se faire violence pour venir voir les empreintes que mentionnait Carter, dans les traces de sang. Le sang d’Emil…. Son cœur se serra. Elle avait envie de hurler, de frapper. Mais ce n’était ni l’endroit ni le moment. « Ils ne lui ont laissé aucune chance… » murmura-t-elle, d’une voix atone. C’est alors que son portable se mit à vibrer et sonner dans la poche arrière de son jean. Elle s’en saisit promptement, pensant qu’il s’agissait de Jessie, Kat ou Alexa, qui peut être avaient du nouveau. Mais lorsqu’elle vit le numéro appelant sur son écran, elle se figea et devint livide. Son cœur cognait douloureusement dans sa poitrine, tandis qu’elle releva son regard sur Shay, tout en lui montrant l’écran. Gorge nouée, elle appuya sur « décrocher » et mis le haut-parleur. « Emil ? » L’angoisse se mêlait à l’espoir, ce qui était une sensation étrange et désagréable, avec cette impression vertigineuse de se tenir au bord d’un précipice, prête à basculer dans le vide à tout moment.

Toutes les circonstances de cette affaire sortent des santiers battus que j’ai eu l’occasion de connaître durant ma carrière de profiler, quand bien même il y a de grandes similitudes avec la toute dernière enquête sur laquelle j’ai pu travailler. Je ne connais pas Emil, c’est à peine si j’ai du le voir plus de cinq fois depuis que je suis à Klamath Falls, il n’est rien d’autre que le neveu de ma grande soeur, le copain de la détective avec qui je suis, mais un parfait inconnu, c’est la partie dans laquelle je peux ranger cette affaire, dans la catégorie basique à mes yeux. Seulement, il me suffit de poser mon regard sur Daphné pour revenir deux années en arrière, que je me revois en train de jouer au chat et à la souris avec ce tueur en série, ce connard psychopathe, qui tient entre ses mains ma femme. Je ne peux m’empêcher de reporter mon histoire à la sienne et je me refuse l’éventualité qu’elle puisse connaître la même fin que celle que j’ai connu. C’est la raison principal de mon retour sur le devant de la scène de consultant, alors que je suis rempli d’une crainte que je ne peux contrôler, il m’est hors de question qu’elle puisse vivre la perte de l’homme qu’elle aime, mais cette arrogance fait partie de moi et jamais je ne pourrais m’en détacher, j’en paie encore les frais aujourd’hui. « Ils ne lui ont laissé aucune chance… » « Non. » Je n’ai pas accepté de me joindre à la détective, pour mâcher mes mots et masquer une vérité pour la ménager, malheureusement, elle se trouve dans la pire des situation et manque de chance pour elle, elle ne se retrouve pas avec le plus diplomate des hommes. Je ne prête pas attention à la sonnerie du téléphone qui résonne dans cet appartement, mon regard continuant de poursuivre son travail, alors que je me redresse, pour ne plus me concentrer sur ces traces de sang maculant le sol, mais sur les preuves accablante qu’ils ne se sont pas contenté de simplement enlever Emil. C’est après quelques secondes, d’une sonnerie continuant de retentir, que je pose mes iris sur la détective, complètement livide, figée sur place, alors qu’elle tourne son portable dans ma direction. Voilà qui devient intéressant, c’est une pensée que je me force à garder pour moi, alors que je m’approche de Daphné, pour un nouveau tournant dans cette affaire. « Vas-y, réponds. » Ma curiosité me pousse à avoir l’envie de comprendre pourquoi est-ce qu’ils sont prêts à prendre de tels risques pour réussir à joindre Daphné. Depuis le début, ils agissent sous des numéros inconnus, des numéros provenant d’un peu partout au sein du monde dans lequel on vit, cette fois-ci, c’est bien l’appareil du policier qui est utilisé. « Emil ? » Mon téléphone dans ma main, je ne peux m’empêcher de prendre soin d’enregistrer cette conversation, maintenant l’appareil proche de la source qui nous permet de pouvoir entendre en premier lieu une respiration affaiblie. « Daphné ... » Je ne peux contenir les battements de mon cœur, pour une voix qui est loin de m’être familière, mais que je reconnais pour pouvoir affirmer que c’est Emil qui est en train de parler, non sans difficulté. « Dis moi … » Après tout ce qu’ils ont pu lui faire subir, son corps est en train d’en payer les conséquences, qui ne passent pas inaperçu oralement. « Dis moi que t’es en sécurité … » Il est loin de cette réalité dans laquelle on se retrouve, il est probablement loin de s’imaginer deux secondes des vidéos que sa compagne, comme sa famille a pu recevoir durant les dernières heures.

Au bord du gouffre… c’était exactement ce que ressentait Daphné en cet instant précis. La communication était mauvaise, mais c’était bien la voix d’Emil qui résonna dans les haut-parleurs. Une voix modifiée par la douleur, l’épuisement physique et psychique également, mais c’était bien lui. Et lorsqu’il prononça son prénom, quelque chose en elle se brisa. Une digue, une muraille, qui jusqu’à présent érigeait un rempart entre son subconscient et la réalité. Elle avait cette sensation que ses jambes se dérobaient sous elle mais elle tint bon. Les larmes en revanche, coulaient le long de ses joues sans même qu’elle n’en prenne réellement conscience. « Oh mon Dieu… » Gémissement à peine audible au fond de sa gorge, tandis qu’Emil lui demandait laborieusement si elle était en sécurité. « Emil… » Elle se pinça l’arête du nez, s’efforçant de maitriser le surplus émotionnel qui menaçait de la submerger. « Ne t’inquiète pas pour moi. » reprit-elle, d’une voix un peu plus assurée, au débit rapide. « Est-ce que… est-ce que tu sais où tu es ? est-ce que tu vas bien ? » Elle savait pertinemment qu’il n’allait pas bien, elle avait vu les vidéos, personne ne pouvait aller bien après un tel traitement – et encore, elle n’en avait eu qu’un infime aperçu – et elle le sentait, s’était ancré dans sa chair comme au fer rouge rien qu’en entendant les intonations de sa voix, il n’allait pas bien du tout…. « Tiens bon Emil. Je… On va te sortir de là, ok ? » Les doigts crispés sur le téléphone à s’en faire mal aux jointures, elle s’accrocha alors au regard de Shay, qui n’avait pas perdu une miette de ce bref échange.

« Oh mon Dieu… » Je me retrouve spectateur d’une conversation à laquelle je ne devrais pas être convié, je suis témoin d’une réalité bien trop brutale qui se présente à Daphné. Mon regard est posé sur elle, chaque émotion qui est en train de la traverser, je peux les ressentir, je peux apercevoir ses larmes qui se présentent sur ses joues, des larmes qui luttent depuis de longues heures pour ne pas céder. « Emil… » Je me contente de garder le silence, de laisser les deux amoureux profiter de cette chance qui se présente à eux, jamais ce connard ne m’a offert la chance de pouvoir parler à ma femme, en même temps, je compte bien ne pas offrir la même fin à la détective. « Ne t’inquiète pas pour moi. » Elle essaie, elle fait tout pour prendre sur elle, pour garder ses émotions, pour ne rien laisser retranscrire, sans doute pour ne pas alerter un policier torturé depuis plusieurs heures et à bout de souffle et de force dans le son de sa voix. Un coup d'œil autour de moi et j’attrape de ma main une chaise que j’approche de la détective, je n’ai pas l’envie de devoir la rattraper pour l’empêcher de tomber, autant prendre les devants. « Est-ce que… est-ce que tu sais où tu es ? Est-ce que tu vas bien ? » « Je sais pas … » Il n’est pas en état de répondre par un monologue ou alors esquive-t-il volontairement de répondre à son état de santé pour ne pas inquiéter sa compagne, tout est possible. « Tiens bon Emil. Je… On va te sortir de là, ok ? » « Non ... » Il est essoufflé, mais il est ferme dans sa réponse, alors que je ne peux m’empêcher de froncer mes sourcils, partageant un échange de regard avec Daphné. « Ils veulent … » Après les sévices qu’il a subi tout au long de cette journée, ses pauses forcées sont justifiées, mais elles sont aussi parfaitement bien placées pour faire monter une certaine pression, dans une affaire qui n’en manque pourtant pas. « Se débarrasser de nous. » Malheureusement pour lui, c’est de l’énergie perdue, pour une information qu’on avait déjà en notre possession. « Arrêtes, s’il te plait … » Je n’aime pas la tournure de cette conversation, aussi héroïque que d’une stupidité folle. « Laisses moi, je veux pas qu’ … AAAAAAAAH » Il aura suffit d’un bruit sourd, comme un coup de bâton ou de batte de baseball pour entendre Emil hurler à travers le haut parleur du téléphone, subissant sans doute d’aller à l’encontre de la demande de ses ravisseurs. Il souffre, pas le moindre doute et je ne peux masquer cette grimace qui se présente sur mon visage, je ne suis pas en train de subir les coups, mais l’entendre hurler me suffit à ressentir sa souffrance.

Daphné ne prêta même pas attention au fait que Shay avait rapproché une chaise d’elle, craignant de la voir défaillir à tout moment très certainement, tellement elle était absorbée par ce semblant de conversation avec Emil. Cet échange, aussi décousu et bref soit-il, tenait de l’ordre de l’inespéré au vue de la situation. Mais dans ce genre d’affaire sordide, rien n’était gratuit ni miraculeux. Au-delà de la probabilité que ce soit un simple piège, s’était plutôt une forme de torture psychologique supplémentaire, tout droit née de l’esprit tordu de Brooklyn. Histoire de les malmener un peu plus chacun de leur côté. Daphné se sentait glacée jusqu’aux os, une fine pellicule de sueur recouvrait sa peau. Le regard qu’elle échangeait avec Shay était un peu sa bouée de sauvetage, qui la raccrochait à la réalité. Toujours avec une élocution laborieuse, derrière les grésillements de la communication, lui parvenait la voix de l’homme qu’elle aimait. Sans surprise, il ne savait pas où il était. Mais la détective comptait sur le génie de Jessie pour parvenir à localiser cet appel. Autant que ce fichu mouchard serve à quelque chose. Emil reprenait la parole, par bribe, puisant dans ses dernières forces pour la prévenir que les ravisseurs voulaient leur peau à tous les deux, et la dissuader d’agir. Du moins, il essaya, avant d’être brutalement interrompu, ses derniers mots se perdant dans un cri qui n’avait guère plus rien d’humain. De la souffrance à l’état brut. Et en écho au hurlement de douleur d’Emil, Daphné hurla également, sans même s’en rendre compte. « EMIL !!!!!!!!!!!!!!!!! » L’espace d’un instant, elle crut qu’elle allait s’effondrer, mais au lieu du désespoir, ce fut une rage sans nom qui s’empara d’elle, galvanisée par les cris de douleur d’Emil à travers le haut-parleur. « Putain d’enfant de chienne, je vais te buter, je le jure ! » hurla-t-elle alors dans le micro du téléphone, le visage déformé par ce flot de haine qui s’emparait d’elle, persuadée que Brooklyn n’avait pas perdu une miette de leur conversation.

Toute cette situation est aussi surprenante, qu’affligeante, rien n’est laissé au hasard depuis le début par le chef de file qu’est Brooklyn Rodgers, cet appel n’est pas sans raison. Il y a l’intention que le policier arrive à convaincre le détective de se rendre, de ne pas se battre, pour les tuer tous les deux, eux qui en savent beaucoup trop sur un trafic qui prend de plus en plus d’ampleur. Il y a également l’intention de l’affaiblir, par le biais de son compagnon, cet appel est là pour faire souffrir émotionnellement Daphné, à travers la souffrance physique que l’homme qu’elle aime est en train de subir. Je n’ose même pas imaginer tous ces sentiments qui puissent lui traverser le corps, je ne peux les imaginer, mais étrangement, je peux les lire à travers son regard, à travers chaque réaction de son corps ou encore, à travers ce cri qui accompagne celle de son compagnon. « EMIL !!!!!!!!!!!!!!!!! » Pour Brooklyn c’est une mission réussi, à défaut d’avoir vu son otage convaincre celle qu’il a décidé d’en faire sa victime. « Putain d’enfant de chienne, je vais te buter, je le jure ! » Je n’arrive pas à imaginer cet homme, autrement qu’en train de sourire fièrement derrière ce portable, alors que le seul que l’on entend depuis tout à l’heure, c’est Emil. Il n’est pas seul, c’est une certitude, après ce sévisse qu’il vient de subir en direct, nous offrant cette fois-ci que le son, sans l’image, pour tout autant de brutalité. « Daph … » Aussi surprenant que ce soit, une nouvelle fois la voix du policier se fait entendre, encore plus essoufflé, au point de ne pas réussir à prononcer pleinement son prénom, sans avoir le besoin d’une respiration irrégulière. « Daphné … » C’est un nouvel essai dans lequel il se perd, comme pris en même temps par le temps, me faisant froncer les sourcils, craignant la fin de cet appel. « Je t’aime .. » Je ne sais pas ce qu’il a pu dire par la suite, s’il a pu enchaîner autre chose que ces petits mots, mais Brooklyn, son mercenaire vient de mettre fin à ce qui est la torture parfaite pour Daphné, autan ces quelques minutes où elle a pu entendre la voix de son compagnon, tout comme cet arrêt brutal à un tel moment. Il n’y a qu’une personne mentalement dérangée pour envisager faire subir de telles choses, comment puisse-t-il avoir l’idée de torturer ces deux personnes ?

Cela faisait longtemps que Jessie n'avait pas passer une journée aussi horrible. Une fois les taches réparties entre chacun, la demoiselle s'était évertuée localiser le téléphone d'Emil ou même de celui du ravisseur grâce au vidéo. Mais rien ne fonctionnait et cela commençait vraiment à la frustrer.
Alors que le nom d'Emil s'affichait sur le téléphone de Daphné, la brunette ressentie à la fois un soulagement et crainte effroyable. Elle remercia le mouchard qu'elle avait mit sur le téléphone de son amie et lança la conversation sur son ordinateur. Ce qu'elle entendit lui fit froid dans le dos. Sans perdre une seconde, elle traça l'appel du policier. La location l'emmena dans les bois à quelques kilomètres de Klamath Falls. Il n'y avait aucun bâtiments dans ce secteur. Malgré la surprise de la jeune fille, elle savait qu'il était là. Elle avait trouvé le lieu pile au moment où la conversation se terminait. Jessie aurait aimé se trouver avec Daphné pour l'aider mais elle ne pouvait rien faire d'autre que de lui donner ce qu'elle avait trouvé. La brunette se saisit de son téléphone et appela son amie. A peine eu-t-elle décrocher qu'elle reprit la parole. "J'ai localisé le téléphone d'Emil. Je t'envoie les coordonnées exactes par message pendant que je te parles. Mais c'est dans les bois à coté d'une clairière. Il n'y a pas de bâtiment. En tout cas, pas de bâtiments connus. Demandes à Mr FBI s'il en sait plus. Je continue les recherches." Et Jessie raccrocha. Elle était persuadé qu'il y avait quelques chose de caché dans ces bois. Pour torturer quelqu'un, il valait mieux pouvoir se cacher entre des murs.

Alors qu’elle n’en avait plus aucun espoir, surtout après le hurlement de douleur qu’elle avait pu entendre, contre toute attente, la voix d’Emil se fit de nouveau entendre dans le haut-parleur. Une voix brisée, ténue, comme si il puisait dans ces dernières forces pour parvenir à cet exploit. L’étau qui enserrait la poitrine de Daphné se resserra un peu plus, la broyant de l’intérieur. « Emil… mon Dieu… Emil… » Elle balbutiait, sans parvenir réellement à formuler une phrase complète. L’essoufflement du policer, et son épuisement, étaient palpables, elle pouvait le voir, là, devant elle, blessé, brisé en mille morceaux, souffrant mille morts. Et malgré ses tourments, il puisait encore un peu d’énergie pour lui parler. Evidemment, tout ceci n’était qu’une manipulation de plus de l’esprit tortueux et malade de Brooklyn. Ce n’était pas par bonté d’âme qu’il leur octroyait cette brève conversation téléphonique. Non, ce n’était qu’un moyen supplémentaire de les tourmenter. Une brillante torture psychologique pour les pousser – ou plutôt pour la pousser – à l’erreur, au faux pas, et à sa perte, à leur perte. C’est alors qu’au milieu de toute cette noirceur, les derniers mots d’Emil se frayèrent un chemin jusqu’au cœur de Daphné. « Je t’aime … » Un sanglot éclata dans la gorge de la détective, tandis que le son de sa voix fut remplacé par les bips de tonalité. La communication avait été coupée. Daphné leva sa main libre à sa bouche afin d’étouffer la complainte qui menaçait de franchir la barrière de ses lèvres. Je t’aime… Des mots si doux, si emplis de promesses et qui pourtant en ce moment précis, résonnaient comme un adieu, un sinistre glas… L’air lui manquait, tant elle se sentait oppressée. Moi aussi je t’aime… songea-t-elle alors avec ferveur. Moi aussi… Elle le répéta plusieurs fois, in petto, telle une litanie, une prière. Elle n’avait pas eu le temps de lui dire dans le combiné. Plus que tout, elle avait la peur viscérale de ne plus avoir l’occasion de lui dire. Ni de l’entendre. Et cette peur la rongeait de l’intérieur, la broyait. Elle n’avait limite même plus conscience de la présence de Shay à ses côtés. Elle était de l’autre côté de la barrière. Retranchée dans les méandres de son esprit qui menaçait de basculer à tout moment. Elle résista à l’envie de recomposer le numéro d’Emil, de le rappeler, avec le fol espoir qu’il décroche. Elle savait pertinemment que cela aurait été vain, que Brooklyn tenait les ficelles.

Je t’aime… malgré toute l’horreur de la situation, ces trois petits mots s’étaient frayé un chemin en elle, lui interdisant de lâcher prise, de renoncer, ou pire, de perdre la raison. Il était hors de question de baisser les bras. Hors de question de laisser Brooklyn Rodgers gagner. Elle allait se battre jusqu’au bout, comme une tigresse, pour Emil, pour elle et pour leur enfant à naitre. Pour Anya et leurs proches également, qui resteraient en danger tant que cette pourriture serait en liberté. Je t’aime… Elle devait se raccrocher à ces trois petits mots, ce message d’espoir, pour retrouver sa combativité, et faire en sorte de mettre hors d’état de nuire définitivement Brooklyn Rodgers et ses acolytes. Elle ne lui donnerait pas la satisfaction de la voir brisée avant même de l’avoir affronté. Lentement, elle releva son regard sur Shay, comme si elle réalisait à nouveau qu’il était là depuis le début. « Je vais le retrouver et le tuer, et vous ne pourrez rien faire pour m’en empêcher. » énonça-t-elle alors d’un ton détaché, dur et froid comme le marbre. Rien ni personne ne pourrait ébranler cette détermination dont elle était désormais pourvue. Dans sa main, son téléphone vibra alors à nouveau, lui arrachant un sursaut. Jessie. Fébrile, elle décrocha et pris la communication avec le haut-parleur, comme précédemment.

"J'ai localisé le téléphone d'Emil. Je t'envoie les coordonnées exactes par message pendant que je te parles. Mais c'est dans les bois à coté d'une clairière. Il n'y a pas de bâtiment. En tout cas, pas de bâtiments connus. Demandes à Mr FBI s'il en sait plus. Je continue les recherches."

Elle remercia son amie brièvement, et celle-ci raccrocha dans la foulée. Enfin, ils avaient une piste. Une localisation précise. « Je suppose que cela ne vous parle pas ? » Ce n’était pas un reproche, juste une constatation. D'ailleurs, cela ne lui disait rien non plus, alors qu'elle était originaire du coin. Elle plongea son regard dans le sien. « Je vous laisse prévenir votre sœur sur la route, qu’ils envoient des renforts. Et une équipe médicale. » Sans attendre une réponse de sa part, ni même s’inquiéter de savoir si il la suivrait, elle pivota sur ses talons et se dirigea vers la sortie d’un pas déterminé. C’était très probablement un piège, destiné à l’attirer dans les filets que Brooklyn avait soigneusement tendu pour elle, avec Emil comme appât. Mais elle ne pouvait pas ne pas y aller. Que Shay l’accompagne ou non.

Je ne sais pas comment est-ce que je suis supposé réagir face à cet appel téléphonique, alors qu’à peine la communication rompue, je coupe l’enregistrement lancé quelques minutes plus tôt. Je n’ai aucune envie de laisser Daphné seule face à la réalité dans laquelle elle se trouve, mais ces quelques courtes secondes, cette toute dernière prise de parole qu’Emil s’est accordé, c’est quelque chose qui ne les regarde que tous les deux. Sa voix a résonné comme faisant aveux d’adieu, comme les derniers mots qu’il a la chance de pouvoir lui accorder, jamais je n’aurais dû assister à ce moment. Le policier a pris une décision, celle de ne pas voir la détective partir à sa recherche, préférant perdre la vie plutôt que d’en mettre d’autres en danger, complètement stupide comme idée. Sutpide pour la simple et bonne raison, que beaucoup trop de personnes sont déjà impliquées et mise en garde, il aura suffit qu’une seule vidéo envoyée pour comprendre le message, ils savent qui ils ont ciblé, ce n’est pas un hasard. Je me retrouve dans cet appartement et je n’ai pas la moindre idée de comment est-ce que je suis supposé réagir, voilà quelque chose qui ne m’arrive pas souvent. Je n’ai jamais eu la chance de pouvoir partager un dernier instant avec ma femme, je n’ai pas eu la chance de pouvoir lui dire au revoir, même si ce moment m’aurait déchiré le coeur, seulement si cette chance s’était présentée, je n’aurais pas eu l’envie de la partager avec qui que ce soit. Sauvé par le gong, comme on le dit si bien, puisqu’à nouveau la sonnerie du portable de Daphné est en train de résonner, attirant au passage notre attention. « J'ai localisé le téléphone d'Emil. Je t'envoie les coordonnées exactes par message pendant que je te parles. Mais c'est dans les bois à côté d'une clairière. Il n'y a pas de bâtiment. En tout cas, pas de bâtiments connus. Demandes à Mr FBI s'il en sait plus. Je continue les recherches. » Je ne peux m’empêcher de froncer les sourcils, intrigué par la situation dans laquelle on se trouve, ils ont prit grand soin d’utiliser des numéros privés, localisé aux quatre coins du monde et ils prennent le risque avec le portable du policier, c’est beaucoup trop facile. « Je suppose que cela ne vous parle pas ? » Ai-je réellement besoin de reprendre la parole ? Elle a plutôt bien compris ma réponse. « Mes compétences à moi, ce sont le Tennessee. » Sans doute qu’une information pareille au sein de cet état, lors de mes années de profiler, j’aurais pu apporter plus d’informations à celles que Jessie vient de donner, mais pour aujourd’hui, on ne peut pas compter sur moi. « Je vous laisse prévenir votre sœur sur la route, qu’ils envoient des renforts. Et une équipe médicale. » La détective est déterminée, je peux le voir à travers ce regard qu’elle pointe en ma direction, de chaque réaction que son corps puisse avoir, rien de ce que je vais pouvoir dire ou faire, va lui faire changer d’avis. En même temps, à sa place, n’aurais-je pas l’envie de m’occuper de l’homme qui tué ma femme ? « Je vous l’ai dit, vous ne pouvez pas compter sur moi pour vous couvrir, j’ai bien l’intention que ce soit vous qui vous occupiez de ce connard, mais restez sur vos gardes, il a envie que vous y allez. » Je ne veux pas empêcher la détective, ce n’est pas mon intention, sinon je ne serais pas en train de suivre son pas pour s’éloigner de cet appartement ou du moins ce qu’il en reste. Tout ce que je souhaite, c’est qu’elle garde dans un coin de sa tête, cette éventualité, celle d’un piège que Brooklyn est en train de lui tendre, qu’elle ne fonce pas tête baissée, sans prendre le temps de réfléchir, parce que je ne serais pas celui qui va se mettre en travers de son chemin. Mon portable dans la main, j’ai besoin de quelques secondes pour appeler ma grande soeur, déjà prêt à entendre ses remontrances, déjà prêt à l’entendre me demander de calmer les ardeurs d’une détective prête à tout pour tuer d’elle même l’homme qui a osé s’en prendre au sien.