Life is a cabaret. || Gabriel

Garant principal de la conception et l’entretien des costumes au Mademoiselle Diva, Gabriel était la personne sur laquelle les artistes comptaient pour ne pas avoir à monter nu.e.s sur scène. Protégeons la pudeur de ceux et celles faisant vivre ce lieu... Au moins avant le début du show. Ce n’était pas de tout repos et, avouons-le, Gabriel n’était pas le costumier le plus organisé qui soit. Son attention s’évaporait si facilement. A peine commençait-il quelque chose qu’il se retrouvait distrait. Très sociable avec ses collègues, il papotait à droite à gauche, et ne voyait pas le temps passer. Il passait des journées entières sans avancer sur son travail. Il n’avait que très peu d’auto-discipline. Sans parler des jours où il somnolait sur son plan de travail pour rattraper sa nuit d'insomnie.
Au cours des dernières semaines, il avait accumulé beaucoup de retard qu’il s’efforçait de rattraper depuis quelques jours. Il s’isolait afin d’être sûr de ne pas se laisser distraire. C’était comme une punition qu’il s’infligeait à lui-même. Son attitude n’inquiétait personne. Ses collègues y étaient habitué.es. Ce n’était pas la première fois que ça arrivait, et ça n’allait pas être la dernière. C’était comme une chanson de Claude François : ça s’en allait, et ça revenait. En deux jours, il avait effectué l’équivalent d’une semaine de travail. Ses quelques astuces pour l’organisation des tâches et ses médicaments pour la concentration l’aidaient pas mal, aussi.

Sa détermination était si infrangible qu’il travaillait reclus dans son atelier, allant même jusqu’à manger tout seul là-bas… jusqu’à un malheureux incident de sauce tomate. A partir de là, il avait estimé plus intelligent de manger ses repas dans la salle. Il ne faisait pas de pause pour autant. Il mangeait les yeux rivés sur son téléphone en train d’écumer les sites de vente d’occasion à la recherche désespérée de certains accessoires.
Il fut interrompu dans ses recherches par l’irruption d’Idgy dans son espace. Il releva la tête, et lui dit bonjour en retour. Il ne s’était pas transformé en sauvage, non plus. Elle venait lui faire un requête concernant un de ses costumes de scène endommagé. Rien qui sonnait insurmontable. Il savait redonner à des oripeaux toute leur fraîcheur d’antan à coup d’ingéniosités de couturier, alors réparer un accroc n’avait rien d’insurmontable pour lui. Encore, fallait-il voir l’état du vêtement.
« Mets-le moi à l’écrit pour que je ne l’oublie pas, et tu pourras me le montrer, pour voir ce que je peux faire. »
Idgy s’installait près de lui, et l’interrogeait sur l’avancement de sa quête amoureuse. Aux dernières nouvelles, Gabriel s’interrogeait sur la pertinence de l’usage de Tinder.
« Je n’ai pas encore créé de compte. Je ne sais pas quel genre de photos mettre, quelle description écrire… »
Quelques jours auparavant, Gabriel avait laissé échapper l’information qu’il n’avait pas eu de relation avec un homme (et encore moins une femme, vous vous doutez bien) depuis deux bonnes années. De nature romantique ou sexuelle. Il ne savait pas se l’expliquer. Cette situation générait en lui une frustration qui, petit à petit, devenait incommensurable.
« J’ai l’impression que c’était plus facile à San Francisco et à New York. »
Il aurait dû être contrarié de se faire interrompre dans son travail. Mais il n’arrivait pas à l’être. Ca lui faisait du bien de sortir un peu la tête de tout ça. Puis il aimait bien parler avec les gens, et avec Idgy.

Gabriel avait appris tôt à coudre grâce à sa grand-mère. Quand approchait la fête de pourim, il était toujours collé dans ses pattes tandis qu’elle préparait les déguisements pour ses petits-enfants. Il adorait la regarder faire, et voulait l’imiter avec ses capacités très limitées d’enfant. Tandis qu’il gagnait en dextérité avec l’âge, elle lui avait alors appris petit à petit à faire des choses. Faire des ourlets, coudre des boutons, assembler des pièces de tissu ensemble. Et, dès qu’il avait pu, Gabriel s’était lancé dans un apprentissage professionnel, puis s’était spécialisé dans les costumes.
Il aimait beaucoup constituer des costumes historiques ou à inspiration historique. Il s’avérait être une riche mine de savoir dans le domaine, sans pour autant avoir l’expertise d’un historien de la mode. Sinon, il appréciait aussi les choses plus fantaisistes, plus drag. Il acquiesça d’un air entendu à la requête d’Idgy.
« Il faudra que tu me dises la chanson et que tu me montres le masque. Et ce que tu envisages pour la scénographie, la mise en scène. »
Par écrit, sinon Idgy pouvait être sûr qu’il allait oublier la moitié des informations. Il fallait presque tout faire par écrit, avec Gabriel.

Toutefois, faire une requête n’était pas la seule raison de la présence de son amie. Elle était d’avantages intéressée à savoir ce qu’il en était de ce profil Tinder.
« Le truc, c’est que si j’écris quelque chose de trop long, j’ai peur que les gars ne le lisent pas. Je sais que je ne le lirais pas, moi. Tu penses qu'ils lisent les longues descriptions ? »
Et puis il n’était pas sûr qu’être aussi honnête dès la description l’aide à matcher. Peu importait comment il l’aurait formulé. Il ne savait combien d’hommes aimeraient sortir avec un homme de presque trente ans qui passait encore beaucoup trop de temps à jouer aux Sims, et à qui il arrivait encore de faire le mort pour ne pas se faire gronder par sa mère pour X ou Y raison.
L’effet petite ville ne l’aidait pas non plus à sa quête du grand amour. D’autant plus qu’il y avait grandi, dans cette petite ville. Idgy évoquait le club de couture qui existait en ville. Gabriel était à la fois sceptique et intrigué.
« Il y a dix ans, il n’y avait que des petites vieilles dans ce club. J’ai rien contre les mamies, je les adore, mais je crois que je préférerais des hommes un peu plus jeunes. »
Il se retint de demander s’il y avait un club sur les Sims. Il savait pertinemment qu’il n’y en n’avait pas.
« Je dis ça, mais de plus en plus de jeunes se mettent à des loisirs de mamie comme la broderie ou la couture. »

Gabriel médita longuement sur la suggestion d’Idgy concernant sa description Tinder. Il ne la trouvait pas bête. Dans la foulée, il réfléchit à une question pertinente à poser.
« Si tu étais dans les Sims 2, quelle serait ton aspiration à long terme ? » proposa-t-il alors. « C’est une bonne question, ça. Parce que si le gars répond l’Amour, c’est soit qu’il n’y connaît rien aux Sims, soit qu’il veut vraiment ken avec tout le monde. Gros red flag. S’il répond Argent ou Popularité, ça peut passer sur un malentendu. Le mieux ce serait Famille. »
Comme beaucoup de personnes, Gabriel avait tendance à se diriger en amour vers des hommes qui lui ressemblaient. Même situation sociale, même âge, mêmes centres d’intérêts. C’était encore mieux si le Monsieur était juif. C’était tout à fait naturel.
Dans la même lancée, Idgy lui proposait aussi de rejoindre un club correspondant à l’un de ses centres d’intérêt.
« Oui, tout à fait. Sinon, je peux toujours sortir dans un bar queer. Avec toi, ou j’ai une copie qu’est lesbienne qui serait sûrement d’accord de m’accompagner. »
Le mot d’ordre était, au final, de sortir de son appartement qui lui servait de grotte quand il n’allait pas travailler ou faire un bowling avec ses amis à 80 % hétéros. Il déverrouilla son téléphone pour aller dans sa galerie et montrer à Idgy des photos de lui qu’il avait soigneusement regroupé dans un dossier la nuit dernière lors d’une insomnie.
« Ce sont des photos que j’ai mises de côté pour mon profil Tinder. »
Toutes les photos choisies étaient assez flatteuses. Mais elles n’avaient évidemment pas du tout été prises à ce qui semblait être la même période. D’une photo à l’autre, sa situation capillaire et sa pilosité faciale changeaient du tout au tout. Gabriel ne savait pas s’il devait rester fidèle à sa présente phase imberbe, ou dévoiler aussi des photos de ses phases barbues.

Au cours de sa vie, Gabriel avait eu deux petits-amis. Et à peine plus de partenaire sexuel. Il savait que la normalité était une notion qui n’avait pas sa place lorsque l’on parlait d’amour ou de sexualité. Une part de lui ne pouvait cependant pas se retirer l’idée qu’il était sous-expérimenté pour un homme de son âge. Ou qu’il n’était pas assez confiant. Il ne savait pas comment ça se faisait.  Il n’avait plus autant de problèmes d’anxiété sociale que dans le passé. En théorie, ça aurait dû être plus facile. Il y avait quelque chose qui devait lui échapper.
Il proposa à la volée à Idgy de l’accompagner dans un bar queer pour faire des rencontres. Il ne s’imaginait vraiment pas s’y rendre tout seul. Il ne s’y serait pas senti bien, ou en sécurité. Il s’en voulait de ne pas savoir y aller seul, et d’avoir besoin d’une amie derrière laquelle se cacher.
« Je n’ai pas ce genre de photos dans mon téléphone, il faudrait que j’en prenne une quand j’aurai un peu de temps. »
Il avait beaucoup de photos de ses créations, cela étant. Des ensembles de costumes de théâtre, des tenues pour des drag-queens et d’autres travaux. Ces photos étaient disponibles sur son Instagram professionnel comme vitrine.
« Je n’ai pas encore de description précise en tête. Je pense que je préfère qu’elle soit courte. Ne pas en dire trop. En fait, ce qui me fait le plus peur, c’est après. Si je match avec un gars, que je me mets à parler avec. J’ai peur de dire des choses trop tôt, ou au contraire pas assez tôt et donner l’impression que je cache des infos importantes sur moi. »
Il était bien plus susceptible d’en dire trop que le contraire. Sa peur de faire des boulettes était des plus compréhensibles, à vrai dire. Sans y réfléchir, il était capable d’évoquer des choses très privées.
« Qu’est-ce que toi tu dirais en premier sur toi ? A part ton prénom, ton âge et ton métier, je veux dire. »

Faire des rencontres par messages interposés semblait être une méthode plus sûre pour Gabriel. Il avait tout le temps de réfléchir à sa réponse, ou de se raviser en réalisant qu’il était en train de taper quelque chose qu’il ne valait mieux pas dire. Ça réduisait les chances qu’il fasse des bêtises. Ce qui pouvait encore lui jouer des tours, c’était sa méconnaissance des règles tacites de la séduction.
« J’aurais totalement swipé à droite si j’avais été hétéro. »
Idgy était une bombe. Il fallait être aveugle pour ne pas le voir.
« Je voudrais… un homme grand, au moins plus grand que moi. » Venant de sa part, ce n’était vraiment pas être exigeant. Demander un homme plus petit que lui l’aurait été. « Avec qui je me sentirais bien, et avec qui on serait sur la même longueur d'onde. Et drôle, aussi. »
Il réfléchit en regardant dans le vague à ce qu’il ne voulait pas, hormis les personnes toxiques et mauvaises pour lesquelles c’était une évidence. Il souffla, indécis.
« Je ne suis pas sûr que je veuille quelqu’un qui travaille aussi dans le monde du spectacle. Jusqu’ici, je n’ai fréquenté que des hommes de ce milieu. Je ne crois pas que ça soit viable pour ce que je cherche. Et puis à KF, ça reviendrait à sortir avec un collègue (et je ne pense pas avoir besoin de passer par Tinder pour ça). » réussit-il à formuler en tournant son regard vers la table où étaient assis les artistes.
Au moins un des artistes du cabaret avait tenté des avances discrètes auprès de lui depuis qu’il y travaillait. Gabriel n’avait rien vu. Pourtant, il y en avait qu’il trouvait mignons. A ce stade, il était encore déchiré entre son désir de suivre son cœur déraisonnable, et la nécessité de conserver un esprit rationnel et pragmatique. Comme s’il ne pouvait pas trouver de compromis entre les deux.