Un début de nuit un peu mouvementée et pourtant, t’es en train de longer les murs, seule le soir, sur le chemin de ton loft. Ta journée t’a un peu épuisée, et pourtant l’envie de dormir n’est pas aussi présente que tu le voudrais. Dehors, il fait doux, et les mains fourrées dans les poches de ta veste, tu regardes de temps en temps devant toi, mais tes pensées s’évadent, elles. Elles t’oublient, elles sont déjà dans un tourbillon de questionnement, mais toi tu fais la sourde oreille, parce que tu t’es jurée d’arrêter de te poser autant de questions, de t’y arrêter, ou tout simplement de comprendre. Pour une fois, t’as juste envie de vivre ta petite vie, t’as envie de profiter sans te demander si t’es en train de foncer dans un mur de pierre, ou une haie de roses pleine d’épines.

Tu montes les trois étages, préférant les escaliers à l’ascenseur, pour te donner bonne conscience sans doute. Puis ta clé tourne dans la serrure en te permettant de te glisser à l’intérieur de ce loft. Tu ne refermes pas à clé derrière toi, parce que les paroles de Misha restent dans un coin de ta tête brune. Tu poses tes clés, et t’admire l’endroit une fois les lumières allumées. Grand loft morose et vide, pas très chaleureux, qui respire le déménagement que tu ne parviens même pas à concevoir. C’est pas les souvenirs de cet appart qui te gardent ici, mais plutôt ce loft en lui-même. Un cadeau de ton grand-père que tu refuses de laisser à quelqu’un d’autres. Pauvre petite Kingsnorth un peu trop accro à sa famille, et pourtant, plus les jours passent et plus tu songes à repeindre et redécorer, plutôt qu’à abandonner cet endroit beaucoup trop grand pour toi, pourtant. Trois chambres, une grande pièce de vie et une jolie cuisine équipée. Une terrasse agréable, une jolie vue sur les toits du monde, et un calme olympien. Tes doigt effleurent l’ilot centrale de ta cuisine, et ton regard s’évade en même temps que ta respiration s’apaise après ces volées d’escaliers. Tu finis par te servir un verre d’eau, puis t’abandonnes également tes chaussures à talon dans un coin de ton grand salon, et tu vas t’asseoir sur l’appuie de fenêtre, avec un fond de musique. Tu regardes par la fenêtre, et t’admires cette ville dans la lueur de la nuit. Le calme de ce loft pourrait te sembler un peu trop angoissant les autres jours et pourtant, à ce moment précis, t’apprends à l’apprécier.

Finalement, tu laisses la musique de fond se frayer un chemin jusqu’à tes tympans, alors que tu termines ton verre d’eau. Tu reçois des messages de tes collègues, auxquels tu ne réponds pas. T’abandonnes ton verre dans l’évier, puis tu retournes te percher sur ton appui de fenêtre dans l’attente que le sommeil pointe le bout de son nez, alors qu’en réalité, c’est plutôt le barman, que t’as envie de voir débarquer. La tête posée contre cette fenêtre, tes cuisses repliées contre toi, tu t’en veux d’espérer à ce point, d’être dépendante aussi rapidement, ou de simplement espérer qu’entre vous, ça pourrait vraiment fonctionner. Malgré tout, t’y crois, t’espères et t’attends. Tu l’attends.

Lorsque tu regardes ton logement, tu te dis qu’autrefois, vous étiez plusieurs à y vivre. Que des filles, principalement, à part les amis des unes et des autres qui venaient parfois s’échouer après une soirée un peu trop arrosée. Tu n’étais jamais étonnée de croiser un visage masculin inconnu, au réveil, mais toi ceux que tu préférais, c’étais quand ils avaient la bonne idée de préparer la table du petit déjeuner. Tu n’y prêtais pas plus attention, après avoir échangé l’un ou l’autre mot mais t’avais au moins l’amabilité d’échanger l’une ou l’autre paroles avec cet homme si parfait à cet instant. Encore étudiante autrefois, t’avais à peine le temps de rester, tu t’enfuyais presque aussitôt en laissant l’inconnu se balader dans cet endroit qui, à l’époque, était plus un moulin qu’un loft. Aujourd’hui, la vie manque un peu dans cet endroit un peu trop grand pour toi, alors que t’y es rarement. Tu pourrais mettre à nouveau une annonce pour de nouveaux colocataires, mais tu ne le fais pas. Tu n’en connais même pas la raison. Ce calme olympien est parfois un peu trop angoissant pour ce besoin de sociabilisation que tu ressens à peu près tout le temps. Quand ce ne sont pas tes amis, c’est ta famille, ou encore tes collègues. Au final, rares sont les fois où tu te retrouves comme maintenant, toute seule, dans ce grand espace qui manque désormais cruellement de personnalité à tes yeux. Tu veux du neuf, de la nouvelle déco. Tu veux aussi surtout tourner une page qui pèse un peu trop lourd pour parvenir à la tourner toute seule. La déchire ? c’est presque aussi pire, alors t’attends un peu. T’attends que d’autres muscles viennent t’aider à faire le ménage dans ta vie.

Assise sur le rebord de cette fenêtre, ton regard reste attiré par ce qu’il se passe dehors, la nuit. Autrement dit, pas grand-chose, à part peut-être des jeunes qui reviennent de soirée, ou bien peut-être qu’ils s’y rendent. T’as croisé un couple qui semblaient heureux, ou complices et tes pensées se sont envolées vers cette soirée un peu particulière, mais déboussolant. T’avais pas prévu que ça finirait de la sorte, et t’es pas encore tout à fait certaine que c’est le bon choix, mais t’as suivi tes envies pour une fois, plutôt que de suivre ce qui est bien ou mal d’après ton entourage. Pourtant, dans cet entourage, il y a de ceux qui te connaissent par cœur, comme ton paternel par exemple. Ou l’homme de ta vie, celui sans qui t’es incapable de vivre s’il venait à lui arriver quelque chose. C’est également l’une des personnes qui te connait le mieux sur cette terre, celle qui a le plus de poids dans la balance, alors tu sais qu’au fond de toi t’es presque heureuse de ne pas avoir demandé son avis, pour une fois. L’influence sur tes choix, il l’a, mais tu sais aussi qu’il te laissera vivre tes envies, si réellement elles sont bien présentes, et bien réelles. Il te prévient, mais il ne t’interdit point, parce que t’es plus la petite fille d’autrefois. Aujourd’hui t’as vingt-cinq ans, t’es en âge d’avancer, quitte à devoir reculer, pour mieux repartir, après. Les conséquences, tu les connais, mais tu décides de faire avec les risques parce que t’as envie de faire confiance. Peut-être à l’aveugle, mais tant pis, tu oses, parce que la dernière fois tu l’as regretté, t’as avancé pour te planter, et te demander pourquoi avoir fait ce choix-là. T’as jamais cherché une vie parfaitement rose, ni même une vie qui ferait de toi une mère attentionnée, une épouse parfaite. Non, toi tu veux juste vivre ta petite vie en profitant. Tu ne cherches pas ton futur époux, tu cherches juste ce qui te fera vibrer un peu plus, qui te marquera l’esprit, en bien ou en mal, mais aussi qui te fera avancer.

T’es suffisamment perdue dans tes pensées pour ne pas remarquer la présence du barman à quelques mètres de toi, qui se réduisent lorsqu’il vient poser sa main dans ton dos. Un geste qui te fait sursauter, parce que t’étais ailleurs, et que lui est un peu trop discret, pour une fois. D’habitude, c’est toi qui empiète sur son territoire : son bar, sa prison, sa vie ? Le savoir chez toi te laisse une étrange sensation, mais pas désagréable. Rassurante, malgré tout. Qu’importe ce qu’on pourrait dire sur Misha Kane, toi t’as l’impression d’être attirée vers lui tel un aimant, pour pouvoir afficher un sourire sincère, ou ressentir un bien-être un peu trop réel. « J’ai dû le décommander à la dernière minute… » dis-tu en souriant, puis tu reprends « il était pas content, c’est un gros jaloux. Tu devras faire attention à toi à chaque coin de rue désormais » termines-tu avec un léger sourire taquin. Elle intercepte le baiser, puis contemple le visage du quadragénaire. Un visage pas aussi paisible qu’un homme n’ayant jamais mis les pieds en prison, un visage d’un homme qui travaille un peu trop tard, mais qui essaie de se sortir du pétrin dans lequel il se fout à chaque fois qu’il termine derrière les barreaux. « vivons dangereusement, dans ce cas » dis-tu, pendant que tes lèvres frôlent encore les siennes, avec envie, mais en même temps tu te retiens. Ses dents viennent à nouveau attraper ta lèvre et ton sourire s’élargit à ses quelques mots murmurés « promets moi de ne pas tricher dans ce cas » murmures-tu encore dans le creux de son oreille. Tu le sans que cette histoire sentira le roussi, et peut-être même que tu finiras par te bruler les ailes un jour ou l’autre, mais aujourd’hui t’es là, avec lui, chez toi et tu n’as pas l’intention de le laisser filer quand tes doigts se glissent délicatement sous son t-shirt pour venir frôler sa peau. Tes lèvres, continuent de se frayer un chemin vers son cou, puis finalement tu t’écartes de lui, pour t’en éloigner à reculons. D’un pas aguicheur presque autant que ton sourire, tu empruntes le chemin qui mène à ta chambre, en laissant tomber ton haut au milieu de la pièce « je connais un autre jeu dangereux, qui se joue à deux. Le but du jeu, c’est de ne pas finir accro. Cap ou pas ? » lui demande-tu en te retournant, et te dirigeant vers cette chambre.