Eun-Woo continuait de s’entraîner tous les matins, à l’aube. N’étant pas un oiseau de nuit, il aimait se réveiller aux aurores et commencer sa journée de bonne heure. Petit-déjeuner avalé, il avait enfilé sa tenue de sport pour aller courir dans les rues calmes et froides de Klamath Falls avant de commencer le travail. Flora lui avait dit de venir pour 08h ce qui était plus tard qu’à la normale, mais il ne contestait pas les ordres de sa patronne. Elle savait de toute façon qu’elle pouvait lui demander de venir plus tôt sans soucis et il le ferait.

Le froid mordait le haut de ses pommettes qui étaient à découvert : la seule partie de son corps qui n’avait pas de protection. Il appréciait cependant cette sensation : cela était vivifiant et de toute façon, ce n’était pas lui qui allait se plaindre puisque l’Hiver était sa saison préférée. La ville était encore plus belle sous son manteau de neige que lorsque le soleil brûle l'asphalte. Cette ambiance lui rappelait ses années en Corée, ce sont peut-être ces moments-là qui avaient scellé à jamais son amour pour le froid. Prenant un chemin différent pour rentrer, il passait toujours devant le café pour s’assurer que tout allait bien, pour garder un œil sur le lieu qui l’avait accueilli à son retour aux États-Unis.

À l’intérieur, deux tornades à la chevelure dorée courraient dans tous les sens alors qu’une Flora épuisée était accoudée au comptoir. Elle écrivait ou plutôt tentait d’écrire sur les ardoises. Eun-Woo regarda l’heure. Il restait quelques heures avant qu’il ne commence, pourtant, il s’arrêta pour prendre son portable et envoyer un message à sa maman pour qu’elle ne s’inquiète pas avant de frapper à la porte du café. Il fit de grands signes à Flora. Charlotte et Lizzie furent les premières à le voir, et même s’il ne pouvait pas entendre ce qu’elles disaient : Eun-Woo savait qu’elles étaient contentes. La porte ouverte, il sourit : “Besoin d’un coup de main ?” Il leva ses paumes : “J’en ai deux à dispositions et elles sont libres de commencer plus tôt.” Une boutade, les cernes et le visage fatigué de Flora lui faisaient de la peine : “Je parie que tu n’as même pas eu le temps de prendre un thé, je me trompe ?” Il fallait y remédier. Il regarda les filles : “Alors comme ça, on tient Maman sur ses gardes ?” Il y eut des rires et après quelques secondes elles étaient repartis refaire des leurs dans le café vide. “Promis ça ne me dérange pas de t’aider.” Ajouta-t-il, profitant qu’ils étaient entre adules.

“Je ne sais pas si je suis tombé du ciel, mais je suis là pour aider et c’est ce qui compte !” Car Flora semblait réellement avoir besoin d’aide ce matin et il ne lui refuserait pas. Travailleur, il n’hésitait pas à avoir plusieurs casquettes au sein du café : il allait là où son patron lui disait sans poser de question. Ce n’était pas sa place. Flora savait mieux que lui le travail à faire même si après presque un an à travailler au café, il connaissait les tâches à faire. Pressant le pas pour rentrer, tirer par Charlotte et Lizzie, Eun-Woo n’avait décidément pas le choix que de mettre la main à la pâte. “Alors on va y remédier, c’est un crime de commencer une journée dans une boisson chaude.” Il était bien trop accro au café et au thé pour rater une seule occasion de se laisser réchauffer avec une bonne tasse.

Écoutant les directives, il hocha la tête : faisant une liste dans sa tête. “Laisse-moi organiser le comptoir hein ? Je vais vérifier ce dont j’ai besoin pour la machine et les boissons après comme ça, tu n’auras pas à faire cet inventaire au moins. Je crois que la liste pour le coter pâtisserie est sur le plan de travail. Il l’a fait avant de partir hier après-midi et il me l’a dit.” Eun-Woo gardait de toute façon une trace de tout ce qu’il lui manquait : une habitude qu’il faisait tous les soirs. “Le Chai part bien, mais le café reste une des boissons que je fais le plus. Sauf le mercredi et le samedi, puis les dimanches quand les familles viennent.” Et que les enfants demandent des chocolats chauds avec des dessins particulier.

Passant derrière le comptoir, sur son terrain de jeu, il prit soin de prendre un mug et de préparer un Geimatcha à Flora alors qu’elle expliquait pour le promontoire. “C’est une excellente idée ! Des fois, je vois des gens hésiter avant de repartir sans livre entre les mains : avoir un avis ne peut que les convaincre.” Il laissa le thé infuser une fois l’eau à la bonne température et remplissait les bocaux avec des serviettes, des cuillères, des sucres et tout le nécessaire à mettre sur les tables. “Je crains ne pas pouvoir aider par contre, je ne peux pas dire que je lis beaucoup.” Eun-Woo n’était pas un feru de la lecture, même s’il connaissait les classiques. “Si tu vois la patronne, ne lui dis pas surtout hein ? Je tiens à mon travail.” Dit-il en rigolant avant d’aller vérifier le thé et de le poser devant Flora : “Tiens, prends le temps : le travail t’attendra.”

Beaucoup d’employés n’auraient pas proposé de commencer plus tôt. Ils seraient probablement passés loin de la boutique et auraient laissé les choses telles qu’elles étaient. Ce n’était pas le genre de Eun-Woo qui aimait bien trop son travail et puis aider Flora qui semble être attaquée par deux gremlins était la moindre des choses. Elle lui avait donné une chance là où beaucoup ne l’auraient pas fait probablement. Certes, cela était grâce à sa sœur, mais il mettait un point d’honneur à s’assurer de mériter cette position. “Heureusement, on peut y remédier. Je m’en occupe hein ?” Et Eun-Woo ne perdit pas une seule seconde, il alla s’occuper de tout ça. Faisant deux choses à la fois, il expliqua l’inventaire : qu’il pouvait aisément le préparer et que du coter pâtisserie cela était déjà fait. “Toi et cela sera toujours le cas. On fait juste notre possible pour que tu puisses avoir la vie plus facile. Mais tu seras toujours celle en charge.” Eun-Woo voulait la rassurer.

Parlant des boissons qui se vendaient le plus, il se permit de partager son point de vue en laissant le thé infuser et en préparant le nécessaire pour les tables. Il pourrait ensuite donner les pots aux filles pour qu’elles puissent les mettre sur la table. De quoi les occuper, Eun-Woo avait déjà utilisé cette technique après tout. “Je fais mon possible pour les occuper, ça permet aux parents d’avoir un peu de répit.” Surtout les jeunes mamans, il faisait son possible pour aider ceux qui semblaient avoir besoin d’une pause dans leur rôle.

La suite le fit sourire, mais le surprit en même temps. Flora lui demandait réellement son avis ? Il prit le temps de rassembler ses pensées alors que mille et une idée fusaient dans son esprit. Il y en avait tellement. Il y avait potentiellement beaucoup à faire. Eun-Woo devait se rétreindre… Ou pas. “Je trouve que c’est une excellente idée.” Il poussa les pots à confitures déjà remplis de nécessaires et en ressortit d’autres. “Charlotte ? Lizzie ? Vous pouvez prendre les pots et les mettre sur les tables ?” Les deux petites filles relevèrent la tête et s’approchèrent pour s’exécuter. “On peut proposer un café où on met une gaufre au caramel, tu sais le biscuit belge là ? Et on fait couler le café dessus : ça fait dissoudre tout ça et c’est un délice. Il y a aussi la possibilité de laisser le client le faire, mais risque de brûlures.” Eun-Woo devait aussi penser à ce qui était faisable. “On peut faire des pré-commandes aussi ? Où je peux préparer des desseins avec des inscriptions, ou autre à une certaine heure ? Si je le sais à l’avance je peux m’entraîner.” Et comme si cela ne suffisait pas. “La Saint-Valentin est dure pour les célibataires : n'en déplaise à Scandale qui créer des postes instagram sur des couples qui semble ne pas exister. Pourquoi pas faire une journée/soirée peut-être ? Pour les Galentines ? Célébrer l’amour que deux amis peut avoir ? Et une pour les célibataires : organiser des blinds dates ?” Il massa sa nuque, réalisant qu’il avait probablement parlé trop vite. “Désolé… Je t’attaque avec tout ça.”

Flora aussi avait de très bonnes idées, comme elle le démontra en proposant celle de mettre des livres en avant. C’était le bon moment pour Eun-Woo avoué ne pas être fortiche dans la lecture, il connaissait ses classiques cependant. Il répondit en chuchotant également : “Est-ce que cela la rassurerait si je disais des poèmes que j’ai appris il y a des années ?” Et tandis qu’elle prenait sa tasse entre ses mains, il fit le tour du comptoir pour aider les filles en récitant des vers :

“O fleece, that foams down unto the shoulders bare!
O curls, O scents which lovely languidness exhale!
Delight! to fill this alcove's sombre atmosphere
With memories, sleeping deep within this tress of hair,
I'll wave it in the evening breezes like a veil!”

Gesticulant, comme s’il était sur une scène de théâtre.

“There I will hasten, where the trees and humankind
With languor lull beside the hot and silent sea;
Strong tresses bear me, be to me the waves and wind!
Within thy fragrance lies a dazzling dream confined
Of sails and masts and flames—O lake of ebony!”

Et puis il s’approcha d’elle et prit dans le moment passa sa main dans les cheveux détachés de Flora :

“Long—foraye—my hand, within thy heavy mane,
Shall scatter rubies, pearls, sapphires eternally,
And thus my soul's desire for thee shall never wane;
For art not thou the oasis where I dream and drain
With draughts profound, the golden wine of memory?”

Eun-Woo sourit et s’éloigna : “Pas mal hein ?” Il repassa derrière le comptoir. “C’est la Chevelure, de Baudelaire. Je ne connais pas les mots en français, tu m’excuseras hein ?” Au moins, il espérait avoir fait mouche et avoir convaincu sa patronne de ne pas le virer. “C’est normal, tu sais ? Tu ne peux pas toujours avoir que des victoires. Quand tu sens que ça ne va plus, il ne faut pas que tu hésites à te reposer sur ta famille ou tes amis.” Il haussa les épaules : “C’est ce que ma maman m’a toujours répété.” Et il l’écoutait. “Je ne suis pas spécialement occupé en journée, si jamais tu as besoin d’aide pour l’ouverture, je ne suis pas loin.”

Courir avait toujours été bénéfique pour Eun-Woo. Il le faisait pour entretenir sa forme, mais aussi pour garder un bon moral. Les jours sans courses étaient plus longs que ceux avec. Et puis, comme c'était le cas maintenant, cela lui offrait des possibilités insoupçonnées. Certes, commencer plus tôt n'était pas du goût de tout le monde, mais sa vie n'était pas assez palpitante et occupée pour qu'il ne puisse pas donner un coup de main si Flora à besoin. Alors il était rentré et il s’afférait à donner à la maman une tasse de thé pour pouvoir faire une pause. Elle semblait épuiser et Eun-Woo ne voulait pas qu’elle s'éreinte à la tâche : pas s’il pouvait aider. “C’est ce que je me dis. Pour certains, c’est le seul contact en dehors de leur enfant. Ma maman était comme ça, elle s’obligeait à sortir avec moi pour que je voie le monde dehors et pour qu’elle ait une pause.” Même si cela était encore pire pour elle puisqu’elle ne pouvait rien entendre. Eun-Woo n’avait jamais osé imaginer le stress que cela avait dû être pour elle. “Alors si je peux les aider en étant bienveillant et compréhensif, c’est un devoir que je me dois de faire.” Il était comme ça et ne comptait pas changer de ci-tôt. Et puis, avoir quelqu’un extérieur qui joue, donne des tâches marchaient toujours : la preuve étant avec Lizzie et Charlotte qui ne se firent pas prier pour mettre la main à la pâte. “Je peux toujours essayer.” Dit-il en rigolant. “Je leur ai toujours dit que plus elles m’aidaient, plus je pouvais jouer avec elles après.” Une sorte de donnant donnant qui apprenait également que - pour pouvoir jouer - il fallait faire les tâches d’abord. “Et comme tu m’as donné l’autorisation, je leur donne un biscuit en récompense.” Parce qu'Eun-Woo n’aurait jamais osé donner quelque chose sans l’accord de Flora. Il était contre les : ne le dis pas à maman ou ne le dis pas à papa. Un enfant ne devait rien cacher à ses parents et c’était aux adultes de montrer l'exemple. “Tu fais du bon travail Flora avec elle.” Termina-t-il pour la rassurer : “On sait tous que les enfants n’agissent pas pareil avec les gens extérieurs.” Il se voulait compatissant et ne voulait surtout pas qu’elle remette en doute tout le travail qu’elle faisait avec ses filles.

Si le sujet des enfants était toujours quelque chose de normal, il était temps de parler d’un autre bébé : le café. La Saint-Valentin approchant, il fallait trouver des idées et sans réellement mettre de filtre il commença à énumérer tout ce dont il avait pensé ces derniers jours : en prévision de cette question. Eun-Woo nota que Flora semblait heureuse à l’idée du café et de la gaufre : il nota donc ça dans un coin de la tête pour lui faire goûter quand elle aura le temps. “Ton alternative marche aussi, je vais travailler dessus et les prendre en photo : tu pourras les mettre sur l’instagram du café.” Un excellent moyen de communication et Flora gérait tout cela à merveille. “Tu sais que les Italiens mettent de la pâte de pistaches sur les tasses et y mettent la boisson dedans ? J’en ai goûté une fois et c’était trop bon : si jamais tu veux un jour faire d’autres boissons spéciales.” Eun-Woo avait toujours des idées quand il était question de son travail.

Extra ? Il était rassuré que Flora ne se sente pas attaquée par toutes les propositions faites en l’espace de quelques minutes. Elle aurait pût, mais cela était mal la connaître. Elle fut même en mesure de proposer encore mieux alors qu’il s’arrêta quelques instants pour pouvoir lui offrir toute son attention. “C’est pas faux…” Il n’avait pas pensé à ça. “Mais beaucoup de personnes ne voudront pas aller au bar ou seront comme moi et à 21h veulent être au lit.” Eun-Woo n’était pas un couche-tard, sauf quand il faisait ses streaming. Quand Flora explique son idée, ses yeux s’arrondirent : “Mais… Mais… C’est tout bonnement parfait ! Quelle merveilleuse idée tu as !” Il n’en croyait pas ses oreilles : “Ou avec un nouvel ami avec qui partager la passion !” Il était aux anges : “Faut que tu fasses la publicité de ça sur insta aussi.” Il était certain que ça allait marcher tant cela était originale et atypique.

Avouant ne pas être un grand féru de lecture, il devait cependant qu’il connaissait un peu de poésie. Il devait se rattraper : ayant trop peur que Flora pense moins de lui ou le renvoie. Quelques vers de Baudelaire qu’il avait appris il y a des années. S’emportant dans une envolée littéraire, il alla même jusqu’à passer sa main dans les cheveux de Flora. Un geste absolument pas calculé et qu’il espérait ne soit pas interprété comme déplacé. Terminant, il rigola en entendant les filles applaudirent. Il s’inclina respectueusement avant de retourner au travail. “Je suis désolé de t’avoir touché les cheveux, j’aurai dû te demander avant.” Le consentement était important et il avait échoué à le faire. “Elle a toujours le bon mot, c’est vrai. Apparemment, c’est sa maman qui lui a appris tout ça.” Eun-Woo l’avait rencontré et il pouvait le confirmer. “Sans y passer ma vie, je peux aider quand même plus souvent si tu as besoin.” Il répondrait présent s’il était disponible. “En avoir marre de toi ? Jamais.” Il ne voulait pas que Flora pense une telle chose. “Je suis content que tu aimes.” Les ardoises faites, il alla les poser sur les tables. “Je crois qu’on est bon. Il te reste quoi à faire sur ta liste ?”