Au retour des grandes vacances, Jade n’avait pas eu beaucoup de temps pour réfléchir à la direction que prenait sa vie. Son département d’anthropologie s’était réveillé, désireux de rattraper les congés des uns et des autres, et l’avait assommée de travail. Entre-temps elle avait rencontré quelqu’un avec qui les choses s’était étonnement accélérée, bien au-delà de ses espérances. Au lendemain d’Halloween, elle était estomaquée de voir son agenda complet entre rendez-vous professionnels, week-ends associatifs et soirées en tête-à-tête. Elle qui n’aimait pas être trop prévoyante et garder un peu de place à l’imprévu, se sentait étranglée de toutes parts. Elle avait la paradoxale impression de ne plus avoir le temps de penser à son ex, Sophia, alors que sa pensée lui revenait constamment. Si son orgueil vis-à-vis de Sophia et son envie de faire correctement les choses avec sa nouvelle copine ne la tiraillaient pas autant, elle serait revenue depuis longtemps s’excuser auprès de son ex. En lieu et place, elle l’ignorait dans la crainte d’une confrontation qui devenait de plus en plus compliquée à envisager. Finalement, si le temps défilait suffisamment vite, elle pourrait peut-être se remettre de sa rupture plus vite qu’elle ne le croyait en se réveillant mariée à une autre… Cette pensée la fit frémir.
- Avec ceci, vous prendrez autre chose ? Demanda le serveur du coffee shop, l’extirpant à ses réflexions.
- Un muffin aux trois chocolats.
Jade avait besoin de réconfort que seul le chocolat pourrait lui apporter, avec une bonne tasse de cappuccino. Elle régla sa commande et l’emporta vers la salle sans prendre garde à la personne qui passait derrière elle. En l’espace d’un instant, elle crut perdre son vénérable cappuccino qui lui glissa des mains mais fut rattrapé de justesse. Confuse, elle s’apprêtait à s’excuser, prenant sur elle pour ne pas s’énerver à mauvais titre contre la personne qu’elle avait heurté par mégarde. Sauf que le visage de la femme qui se tenait devant elle ne lui était pas inconnu. Il était pour ainsi dire gravé dans sa mémoire à jamais et elle dut cligner des yeux à plusieurs reprises pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas.
- Merde… Souffla-t-elle à demi-mot.
Machinalement, la brune s’était rendue dans ce café qu’elle affectionnait, sans se rappeler que si elle l’aimait tant, c’était parce qu’il était à deux pas de l’hôpital où Sophia travaillait et où elles s’étaient donnés nombre de rendez-vous. Qu’elle tombe sur Sophia, tôt ou tard, était une évidence qui lui était sortie de la tête. Elle prit une grande inspiration et releva le regard au niveau du sien pour ne pas paraître plus minable qu’elle ne l’était déjà. Ses lèvres balbutiait légèrement au départ, avant qu’elle ne se reprenne fièrement.
- Soph-phia. Tu as bonne mine. Excuse-moi, je ne t’avais pas vu.
C’était l’entrée en matière la plus pathétique qui soit, mais y en avait-il seulement une bonne dans sa situation ? De quelle manière devait-elle parler à quelqu’un avec qui elle avait partagé sept ans d’existence avant d’y mettre fin abruptement ? Maintenant qu’elles se faisaient face, elle avait conscience qu’elle ne pourrait l’esquiver, alors elle devait prendre les devants pour ne pas être prise au dépourvue devant tout le monde. Elle toisa Sophia et sa commande.
- Tu as le temps de te poser une minute ou ton service ne peut attendre ses cafés ? On a pas vraiment eu l’occasion de discuter toutes les deux.