I’m so lost /
Tout a commencé après ma soirée de boulot hier. Le problème quand vous travaillez en bar, c’est que vous avez pas le droit de consommer d’alcool avant et pendant le service. Forcément, ça vous laisse avec l’envie de consommer après avoir débauché. C’est mon cas, je veux dire. Je vois tous ces clients se bourrer la gueule pendant que je bosse, et moi j’peux pas toucher à un seul cocktail, une seule bière pression. Ca tuerait personne pourtant, que j’boive un verre, une pinte même, mais il faut s’en tenir aux règles. J’peux vous dire que j’respecte les règles seulement parce que ce job, il me le faut pour conserver mon appartement. J’pourrais toujours demander de l’aide financière à mon oncle si j’le perdais, il refuserait pas, mais je préfère être indépendante. Ouais, c’est un sacré truc quand on grandit ça, l’indépendance… surtout quand on se fait virer de son chez-soi. Bon okay, j’l’avais mérité, à l’époque, mais quelque part j’l’ai toujours en travers. Peu importe, le passé c’est l’passé. Donc après le boulot hier, ou plutôt très tôt ce matin (parce qu’on débauche vers deux heures du mat’) je suis rentrée chez moi, j’ai pris de quoi boire, de quoi fumer et je suis re-sortie. Et là… là j’ai fait le tour de la ville toute la nuit. J’avais même pas froid. C’est l’avantage de croire qu’on est censée être morte, ça : on est beaucoup plus résistante aux détails. Enfin bref. J’me suis mise dans un état pas possible, toute seule, dans la rue. Je fais ça de temps en temps, c’est pas la première fois que ça arrive. Le problème avec les substances, c’est que ça anesthésie plus qu’autre chose. Moi, je voulais ressentir. Je voulais savoir que j’étais vivante. Alors il m’est venue une idée… conne. A vrai dire ça faisait déjà un moment qu’elle me trottait dans la tête et que j’la menais pas à bien. Je sais plus dans quel quartier de la ville j’étais, peu importe. J’ai payé un groupe de gars qui passait par là (après une fête, vraisemblablement). Au début, ils ont pas compris pourquoi j’leur mettais des billets dans la main. Ils fronçaient les sourcils, ils s’interrogeaient. Ricanaient même un peu. Puis j’ai pris celui qui m’avait l’air le plus costaud entre quatre yeux, et j’lui ai dit :
« Frappe-moi. » d’une voix claire et posée. Ils auraient peut-être voulu me convaincre que je délirais, mais malheureusement pour eux j’avais l’air lucide. Puis ce fut à mon tour de rigoler.
« Que dis-je, frappez-moi, tous ensemble ! » Ils se sont tous regardés, comme si j’étais folle. Ils se sont concertés dans un coin, puis ces salopiauds ils m’ont demandé d’ajouter cinquante dollars à ceux que j’avais déjà donné. Heureusement que je les avais sur moi. Puis si c’est le prix à payer pour qu’on me tabasse, j’étais prête à mettre autant que nécessaire.
Les cinquante dollars ajoutés, le bal a commencé. On aurait pu appeler ça une sorte de danse macabre, clairement. A partir de là, je ne saurais vous dire qui a mis le premier coup, qui a utilisé ses mains, qui a utilisé ses jambes, qui a mis le dernier coup avant que le groupe se concerte à nouveau et décide d’arrêter et de s’éloigner, doucement mais sûrement. Je peux juste vous dire que c’est la première fois et le seul cas où la souffrance physique m’a fait sourire. Sourire avec les dents, même, à travers le sang qui coulait de ma lèvre fendue. Je sais pas combien de temps j’suis restée comme inerte sur le bitume, assez longuement pour profiter du moment, assez courtement pour que personne passe par là et me propose son aide. J’aurais refusé vivement dans tous les cas. Le corps engourdi, endolori, je suis rentrée chez moi en boitant, ne sachant pas à quoi je ressemblais. De toute façon, mon jean noir était déjà destroy. Seulement les coups ont fait que je marchais d’un pas lourd, et qu’en arrivant sur le pallier, on aurait pu me confondre avec un éléphant. Alors que je galérais à mettre la clé dans la serrure, j’ai entendu la porte derrière moi s’ouvrir, et j’ai senti mon meilleur ami sortir de son appartement. J’me suis retournée, insouciante, et il m’a
vue. Moi et ma connerie. Voilà où on en est.
« Putain d’merde ! » Je commence déjà à sourire alors qu’il n’y a que de l’inquiétude sur le visage de Poppy. En même temps, le mien de visage est un camaïeu de bleu violacé. J’me suis jamais trouvée très jolie mais là ça doit être une catastrophe. Mon meilleur ami voit rouge, lui, je le sens dans son attitude.
« C’est qui ? » Question à laquelle je me mets à ricaner très fort. Mon rire est démoniaque, mais je trouve la situation ridiculement drôle.
« Relax… c’est moi ! » m’exclamé-je avant de me mettre à rire de plus belle, tellement que je dois m’arrêter au bout d’un moment parce que ça joue sur mes côtes endolories qui doivent être bourrées d’ecchymoses elles aussi.
« Poppy j’ai vécu un d’ces trucs… on va chez toi ou chez moi ? » Parce que j’imagine bien qu’il va pas me lâcher, du moins pas avant d’en savoir plus sur ce qui s’est passé.
(c) ruslowe