Des bleus à l'âme

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{ Des bleus à l'âme. }
♛  w/ @Senan Kingsnorth
tw : Vulgarités, séparation, adultère, age gap.

Quel bordel. Elle le sait pourtant Shana, qu’il ne faut pas boire en semaine, ou la gueule de bois est encore plus terrible. Parce que le réveil sonne, et tambourine un peu plus sur la migraine. Le pire c’est que là, c’est pas son réveil à elle qui l’emmerde. C’est l’alarme du téléphone d’Olivia, couchée à côté d’elle, qui hurle depuis 5 min au moins. Mais la blonde est en train d’agoniser si profondément, qu’elle ne prend même pas la peine de le couper.  

_ “ Putain j’vais t’le défoncer ton portable. “

Qu’elle râle la rousse, les cheveux dans tous les sens, essayant de se hisser sur ses mains dans le lit, pour escalader la silhouette inerte de son amie et couper la sonnerie. Elle écrase Olivia au passage, se redresse, essaye de dompter ses cheveux. Puis la réalité la rattrape. Olivia, son rendez-vous important, ses documents à signer. Avant de sombrer dans son trop plein d’alcool, l’avocate lui a fait jurer d’aller à son entrevue avec son client, si elle n’était pas capable d’assurer au réveil. C’était pas compliqué, juste son dossier à emmener, et ses papiers à faire signer... Jouable ? Montée sur ressort, comme à son habitude, Shana sort du lit et se jette sous la douche pour se réveiller. Elle tapote plusieurs fois ses joues, et cache sa fatigue sous un bon anticerne. Elle se fard légèrement, pour se montrer professionnelle. Enfile un chemisier, qu’elle laisse ouvert sur son décolleté - apparemment ça fait plus d’effet d’après Olie -. Un blazer par-dessus, et une minijupe assortie. Surmontée sur des escarpins à talons, elle plonge le dossier du client d’Olivia dans son sac à mains, puis quitte l’appartement, abandonnant son amie à sa gueule de bois.  

Elle sait que le rendez-vous de la blonde est au bar Irlandais. Que c’est un client important. Et que la seule chose à faire, c’est de lui voler des autographes. Ce devrait être suffisant. Elle prend un taxi pour s’assurer de ne pas être trop en retard, fixant bien trop souvent sa montre Casio vintage. Retard qu’elle a déjà. Enfin techniquement, qu’Olivia a déjà. Pressée, elle paye le chauffeur en arrivant, puis court comme elle le peut, perchée sur ses talons, vers l’intérieur du bar. Elle pousse la porte à la hâte, s’engouffre à l’intérieur. Puis accrochée à la poignée, elle survole du bleu de ses yeux, la pièce devant elle. Y’a pas grand monde à une heure aussi matinal, dans un bar. Mais y’a bien une silhouette grisonnante, qui lui tourne le dos. Installée sur une table un peu plus loin. Laissant la porte se refermer derrière elle, Shana s’avance vers cet inconnu, tout en se raclant la gorge pour tenter de prendre un air très professionnel. Elle se tient bien droite, et assurée. Elle passe à côté de l’homme installé à la table, puis sans le regarder, se penche, tire la chaise, puis vient y poser ses fesses. Elle pose son sac sur ses cuisses, entre son buste et la table, en sort le dossier pour le client. Dossier qu’elle largue sur le meuble, tout en, enfin, relevant les yeux vers le bonhomme qui lui fait face.

_ “ Ho bordel de merde ! “

Qu’elle lâche perdant tout contrôle d’elle-même, alors que ses yeux s’écarquillent au moment même ou ils croisent ceux de son interlocuteur. Et par réflexe, elle ramène le dossier vers elle, contre sa poitrine, se raidissant de tout son petit corps. Senan Kingsnorth était là, devant elle. Son plus grand désir, et son plus grand cauchemar aussi. Probablement le seul homme pour qui elle ait pleuré en trente-cinq ans d’errance sur cette planète. Son cœur s’emballe, tambourine contre sa poitrine, alors qu’elle ne peu décoller ses prunelles azures du visage marqué par le temps, devant elle. Sa respiration se complique, ça doit se sentir à ses épaules et son torse qui se soulèvent à chaque inspiration. Est-ce que c’est lui, vraiment lui, le rendez-vous ?! Olivia n’aurait pas fait ça ?! Elle le connait pourtant, tout son historique chaotique avec cet homme. Et quel homme...  

Dans sa panique, elle sauve les apparences, gardant un calme étrange, tandis qu’à l’intérieur d’elle-même, tous les signaux d’alarmes hurlent au plus fort. Elle lève juste son index, pour demander un temps mort. Puis elle ouvre le dossier confié par Olivia la veille, histoire de vérifier si la blonde s’est vraiment bien foutue d’elle, ou si elle ne s’est pas juste assise à la mauvaise table, provoquant elle-même la destiné. Mais c’était bien le nom de Senan sur les entêtes des documents. Documents qu’elle aurait dû scruter avant d’accepter, clairement. Olivia... Elle se jure de régler ce problème avec sa blonde, quand elle aura réglé l’autre plus gros problème : What Else, qui se tient face à elle, les clopes et le téléphone empilés sur la table, comme il le fait toujours. Muette et inerte, elle ne peut s’empêcher de dévisager son ex-amant. Elle voudrait y trouver bien des critiques, mais c’est tout l’inverse qui lui traverse l’esprit. Toujours aussi beau, toujours aussi charmant, toujours aussi Senan. Toujours le rouge qui lui monte aux joues alors qu’il croise ses yeux. Toujours son putain de cœur qui s’emballe rien qu’à le savoir si près d’elle. Et si le voir lui fait du bien, ça devient vite une douleur dans sa cage thoracique. Parce que cet homme n’est plus à elle. Et dans le fond, il ne l’a jamais été. Elle a toujours été la seconde. Le deuxième choix. La maitresse dans l’ombre d’une épouse qui prend trop de place. Elle sent que rien que d’y penser, ses yeux la piquent. Alors elle bat des paupières, trois ou quatre fois, avant de baisser les yeux, afin de poser les documents sur la table. Et ceci-fait, elle vient repousser les mèches de ses cheveux ondulés qui lui retombent sur le visage. Les coinçant entre deux de ses doigts de chaque mains. Mains si fraichement manucurées, parce qu’elle n’a de cesse de prendre soin d’elle, la rousse. Et elle plaque ses mimines à plat sur les documents, pour les faire glisser le long de la table, vers Senan.

_ “ Olivia ne viendra pas, elle est malade. Je fais le coursier, tu signe, et je repars avec ça. “

Pas plus de blabla, elle n’en veut pas. Elle aimerait même ne pas entendre le son de sa voix, parce que ça en serait finit d’elle. Combien de fois a-t-elle écouté et réécouté les messages vocaux de lui rester sur sa messagerie ? Juste pour se nourrir du son de sa voix, qu’elle aime tant. Elle n’a pas beaucoup de faiblesses Shana. Mais Senan est probablement sa plus grande. Alors elle fuit son regard, pas prête à l’affronter. Et elle ramène ses mains vers elle, les cachant sous la table, sur ses cuisses, et elle frotte nerveusement ses doigts les uns contre les autres.  

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“ Sympa comme surnom. Je ne m’attendais pas à quelque chose de chaleureux, mais là on frise l’excès, tu ne trouves pas ? “ Pourquoi, pourquoi est-ce qu’il parle ?! Cette voix, elle en frissonne. La chair de poule parcoure son épiderme. Sa respiration se fait difficile. Elle en fuit encore plus le regard du sexagénaire - sexygénaire ça marche aussi -, tant la douleur dans sa poitrine est atroce. Shana, elle ne peut pas vraiment dire qu’elle a aimé souvent. Ce serait faux. Elle ne s’amourache pas facilement. Elle a même tendance à penser qu’elle a une pierre à la place du cœur. Mais si elle n’aime pas souvent, quand elle aime, c’est plus que tout. Un peu trop même. Senan, elle l’a trop aimé. Elle s’est trop accrochée, trop amochée. Elle ne pouvait se résoudre à le partager, elle en aurait voulu l’exclusivité entière. Tout ça, il ne l’a pas compris lui. Il l’a fait souffrir, elle s’est faite souffrir. Parce que dans le fond, elle l’avait bien cherché, sa douleur. Elle est restée bien trop longtemps avec lui, en connaissance de cause. Elle ne pouvait que se blâmer elle-même. Et qu’est-ce qu’elle aimerait la tourner, la page Senan. Mais à chaque fois qu’elle fait la rencontre d’un homme, elle ne peut s’empêcher de penser, qu’il n’a rien de Senan. Elle ne cherche pas un mari. Elle ne cherche pas un conjoint. Elle ne cherche pas une âme sœur. Elle cherche un Senan. Mais il est en exemplaire unique, et intouchable.  

_ “ Objection rejetée. “

Qu’elle crache, comme un chat sur la défensive. L’amertume, la nostalgie et les regrets dans les traits, même dans la voix. Ça se sent à des kilomètres qu’elle n’a rien digérée, contrairement à ce qu’elle assure à tout va. Senan est et restera son plus grand regret. A son plus grand désarroi. “ Je peux savoir ce que tu fais à la place de mon rendez-vous ? Et surtout, comment as-tu eu ces dossiers ? “ Bien obligée de lui faire face, parce qu’il engage la conversation. Alors que son plus grand désir ne serait que de fuir, loin. Ignorer le problème Senan jusqu’à ce qu’il disparaisse. Tactique inutile pourtant. Mais dont elle use depuis des mois, se voilant la face. Elle se redresse alors légèrement, pour s’enfoncer dans le fond de sa chaise. Elle croise ses bras sous sa poitrine, pour se donner un air impressionnant. Comme si elle contrôlait la situation. Ce qui est loin d’être le cas. Le plus dominant des deux, c’est loin d’être elle. Ça ne l’a jamais été.  

_ “ J’me suis reconvertie. “

Qu’elle répond sèchement, non pas par rancœur, mais sur la défensive. Elle ne peut pas lui en vouloir à lui, elle s’en veut à elle-même. Et elle sait que si elle se laisse aller à sa douceur habituelle, à son humour, à son sourire, elle pourrait flancher. Et c’était clairement pas ce qu’elle voulait. Senan a été le sujet le plus douloureux de toute sa vie. Ce serait stupide de se faire mal encore une fois. Masochiste même. Leurs regards se croisent finalement, alors qu’il empoigne le dossier. Il prend un peu trop le temps de balader ses yeux sur elle, elle en rougit, elle ne peut contenir cette chaleur qui envahie ses joues. Elle fuit son regard encore une fois, perd toute crédibilité dans sa fausse assurance. Elle serre ses doigts contre ses bras, contre sa poitrine. Mal à l’aise, alors que dieu seul sait à quel point, elle aime ça, qu’il la regarde ainsi. Elle paierait cher de sa personne, pour retrouver ça. Jour et nuit. “ Tu repars juste avec ça ? ” Elle peste, sa siffle entre ses lèvres rosées, alors qu’elle lève le nez vers le plafond. Elle joue l’éhontée, alors qu’au fond, c’est pas avec le dossier qu’elle aimerait repartir. Mais elle s’abstient bien de le reconnaitre. Et plus les yeux du plus âgé divaguent sur elle, plus les souvenirs la fouettent violemment. Leurs nuits, leurs chuchotements, leurs souffles entrelacées. La chaleur de ses bras, le parfum de sa peau. Elle en pleurerait, si elle n’avait pas un orgueil aussi démesuré. Non, ses larmes elle les retient, elle les libérera quand elle sera sortie de ce bar.  

_ “ C'est pour ça qu'je suis là. “

Qu’elle répond toujours du même ton, reportant son attention sur lui. Mais bien rapidement, elle laisse l’azure de ses yeux retomber sur les mains de Senan en pleine exercice. Parce qu’affronter son regard lui fait perdre pied. Elle sent cette chaleur envahir toute sa fine silhouette. Pourtant elle en est sûre, il ne fait certainement pas très chaud dans ce pub. C’est elle, c’est Senan. Senan qui lui semble si impassible. Comme si la situation l’amusait. Il a ce sourire en coin de ses lèvres, qu’elle aime tant. Qui la déconcerte tant. Ça fait un bim et un boum en plus dans sa poitrine. L’air lui manque, alors qu’elle se redresse légèrement, puis tire d’un doigt sur le décolleté de sa chemise pourtant assez ouverte. “ Tu veux boire quelque chose en attendant ? J’offre. “ Le serveur qui passait derrière eux, et ayant certainement les oreilles trop curieuses, s’arrête entre eux, les yeux sur Shana. Elle le fixe, pinçant l’intérieur de sa lèvre. Le visage relevé vers lui. Elle ne sait que boire. Elle aurait besoin d’un truc fort pour assumer la situation. Mais risquer l’ivresse dans ce cas-ci, ce n’était pas l’idéal. Surtout à une heure aussi matinale. Alors elle finit par se forcer à sourire, crispée, vers l’employé des lieux.

_ “ Un thé à la menthe svp. “

Et elle détache ses bras, pour venir pointer du doigt l’homme grisonnant qui lui fait face.

_ “ Mettez ça sur sa note. “

S'il avait été bien plus tard, même en soirée, elle aurait commandé le plus cher des champagnes, juste pour l’emmerder. Même si ce n’est qu’un grain de sable dans son portefeuille, elle, ça l’aurait soulagé. Le serveur acquiesce d’un signe de la tête, puis il s’éloigne finalement vers le comptoir. Les laissant seuls à nouveau. Elle reporte donc par la force des choses, son attention sur Senan. Elle ne peut s’empêcher de le bouffer des yeux, malgré ses airs renfrognés. Prince charmant, sourire dentifrice extrême blancheur. Foutu bobo. Elle laisse un lourd silence s’installer, le toisant simplement, comme si elle espérait le fusiller ainsi. Tandis qu’à l’intérieur, c’est en vérité bien d’autres idées indécentes qui lui traversent l’esprit. Elle joue les refroidies, les impassibles, les intouchables, alors qu’elle le sait bien, qu’il n’aurait qu’un mot à dire pour qu’elle finisse sur ses genoux. Foutu connerie. Si seulement elle pouvait s’arracher le cœur elle-même, pour ne plus ressentir ça. Plus jamais.  

Ses yeux finissent par en revenir aux mains de Senan qui termine de signer ses papiers. Ce n’est que là, qu’elle remarque l’absence d’alliance. Anneau qu’il portait pourtant tout le temps, avant. Quand ils étaient ensemble. Du moins la nuit tombée. Avait-il finalement divorcé ? Elle prend un bon bout de temps de réflexion, avant de relever le nez et les yeux vers lui.

_ “ Divorce, procès, t’as l’air bien occupé. “

Qu’elle lance d’un faux ton détaché, ne poussant s’empêcher de passer ses yeux vers ceux de Senan, puis ses mains, et vice versa. Pourtant elle ignore ce qu’il est en train de signer, c’est peut-être même pas un procès.  

_ “ J’espère que t’as au moins un peu de temps, pour ta dernière maîtresse. “

Et elle penche la tête vers son épaule, minaudant presque, faussement compatissante avec celle qui l’a probablement remplacée. Parce qu’elle se doute qu’il a dû lui trouver une remplaçante. Plus jeune, plus jolie. Les femmes et Senan ça semble être une grande histoire d’amour. Qu’importe, toute façon, qui qu’elles soient dans sa vie, elle les déteste. Profondément. Et ça se sent. Elle ne peut cacher son amertume totalement. Elle a mal, et elle aura toujours mal.

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Evidemment qu’il est un danger. Son danger. Ce n’était pas pour rien que la belle n’avait pas refait sa vie depuis lui. Y’avait pas un homme à sa hauteur. Ce bien malgré tous ses défauts, comme sa carrière qui lui prend beaucoup trop de temps. Ou le fait qu’il était marié. Ou encore ces décennies de plus qu’elle. On pourrait lui en trouvé des fails à Senan Kingsnorth. Mais chacune d’elle, Shana les a aimé. Pire encore, les aime probablement encore, et les aimera toujours. Parce que Senan est certes sa plus grande douleur, mais aussi son plus beau souvenir. Le seul dont elle soit réellement tombée amoureuse. Le seul pour qui elle endurer tout et n’importe quoi, tant qu’elle était à lui, et rien qu’à lui. Elle aimait l'idée de lui appartenir. Alors en finalité, la pire et la meilleure chose qui lui soit arrivée. “ Très mauvaise avocate, dans ce cas. ils sont à l’heure habituellement, on les paie suffisamment cher pour ça. “ Un petit sourire en coin des lèvres, elle le toise, cachant son amertume dans des traits presque hautains. Elle essaie de le prendre de haut, pourtant elle sait combien c’est elle qui est en bas, et lui toujours au-dessus de tout. Surtout d’elle.  

_ “ C’est pas toi qui me paye. “

Qu’elle rétorque. Elle n’est même pas payée du tout pour ça d’ailleurs, bien qu’elle ordonnera quelques billets à Olivia en sortant d’ici, après avoir endurer ça. Olivia qui va prendre son savon annuel. Elle est pourtant au courant de cette histoire entre Kingsnorth et Murray. Comment peut-elle l’avoir largué dans une telle embuscade ? Peut-être s’amuse-t-elle a remuer de vieux souvenirs, mais Shana elle, en souffre beaucoup. La page est trop dure à tourner, alors que lui semble l’avoir définitivement fait, plus facilement. Comme quoi, elle n’était qu’une fille parmi tant d’autre. Et qu’elle devrait arrêter de trop y penser comme ça. Stupide, se dit-elle. “ Mais ne te méprends pas Shana, je ne remets pas en doute tes compétences, je sais que t’es douée pour d’autres choses. Juste, pas pour … tout ça. “ Dans la bouche d’un autre homme, ça aurait presque pu passer pour un sous-entendu audacieux. Mais elle comprend bien qu’il est sérieux Senan, qu’il n’est pas aussi touché par leur passé qu’elle peut l’être. Et ça ne fait que grandir son mal être. Sa douleur. Elle en serre sa mâchoire, pour retenir ses émotions, alors qu’elle le fixe signant ses papiers. Ce genre de signature qu’elle aurait aimé le voir apposer sur un document de divorce, deux ans plus tôt. “ Du thé à la menthe.  Tu me déçois presque. “ Elle hausse un sourcil alors que leurs regards se croisent, quand il relève enfin le nez de ses documents. Balle en plein cœur mais elle essaie de ne rien laisser paraître. “ Je t’ai connue plus audacieuse…. “

_ “ J’crois pas te devoir même ça. “

Qu’elle rétorque, croisant ses bras sous sa poitrine, prenant l’air boudeur d’un enfant. Faut dire qu’elle a le minois adéquate. “ … Je suppose que tout dépend de l’endroit et de l’heure. “ Elle lève un instant les yeux au plafond avant de les faire retomber sur lui. Evidemment, y’a de ça. A une heure plus tardive en soirée, elle aurait sûrement demandé quelque chose de très fort pour affronter la situation. Mais là, elle écume une soirée difficile de la veille, et c’est un peu tôt pour son healthy mood, que d’avaler de l’alcool. Phrases courtes, elle ne fait pas dans les détails tant elle est crispée, sur la défensive. Tandis que lui semble si à l’aise, rangeant ses biens comme s’ils parlaient affaire. Son domaine de règne. C’est de plus en plus douloureux.  

_ “ L’argent évidemment... “

Qu’elle souffle plus pour elle-même, détournant le regard vers le bar alors qu’il explique son gain du jour. Sa carrière, son travail, son argent, elle n’en n’a jamais rien eu à faire elle. Contrairement à peut-être pas mal de nénettes qui lui tournent autour. Shana elle n’a toujours voulu que Senan, même sans le sou. Elle aurait peut-être même préféré d’ailleurs, parce qu’il n’aurait pas passé autant de temps collé à son téléphone lors de leurs rendez-vous. “ Pas de maitresse, non. Une future Madame Kingsnorth, oui. Brune, trentaine, pas avocate. “ Brusquement, son visage se retourne vers lui, ses yeux s’arrêtant aussi sur sa silhouette. Sourcils froncés, incompréhension. Il va donc réellement se remarier, elle a bien compris... Et avec un sosie d’elle-même, si elle en croit son sous-entendu ?  

_ “ Je préfère les œuvres originales. “

Qu’elle crache comme un chaton, ayant l’impression qu’il la nargue sans ménagement. Comme s’il s’amusait de son amertume. Il ne semble dégager aucune souffrance lui. Vraiment aucune. Ça la vexe Shana, tandis qu’elle le détaille de ses prunelles. Sa gorge se noue rien que de comprendre tout ça. Qu’elle n’est plus rien du tout, pas même un souvenir de nostalgie pour lui. Ceci explique cela. Pour ça qu’il n’a jamais quitté sa femme à l’époque. Il ne tenait pas à elle autant qu’elle tenait à lui ? Elle n’a plus qu’une envie, pouvoir s’échapper d’ici et aller pleurer dans les bras d’Olivia, après lui avoir fait son sermon, évidemment. “ Comme tu vois, tout est chaud de nos jours : les affaires, ton thé – à défaut d’être buvable – les ex, les femmes. “ Et lui le devenait autant que le thé apparemment. N’y touchant même pas, les yeux s’embrumant, elle tire sur le dossier qu’il a reposé devant elle, puis s’y accrochant, elle se relève brusquement, quittant son siège. Elle inspire, retient ses larmes sans savoir comment. Juste par la colère, et la déception certainement. Elle s’était plus d’une fois imaginée recroiser Senan un jour, et dans ses rêveries, ça se passait tout autrement. Tombant de son piédestal, la brune entraine le dossier contre sa poitrine, et fixe le soixantenaire comme elle le ferait avec son pire ennemi.  

_ “ J’vais te laisser refroidir avec, j’ai ce que j’suis venu chercher, tu règleras le reste avec Olivia... J’en ai assez entendu. “

Et assez subis surtout. Prête à fondre en larme à tout moment, elle toujours si forte et de caractère. C’est pas devant lui qu’elle craquera, ça non. Il ne le mérite même pas. C’est pas ce mariage qu’elle regrette, de toute façon. Juste de n’être plus rien pour lui. Si encore elle a été un jour, quelque chose. Le dossier contre elle, elle le serre fort, puis contourne la table, mais elle s’arrête à la hauteur de Senan, les hanches près de sa silhouette encore assise. Elle abaisse les yeux vers lui, alors que son cœur tremble dans son petit corps.  

_ “ J’te souhaite un bon futur divorce. “

Parce que visiblement, il ne sait faire que ça, pour toujours, en trouver une plus jeune. Ça ne l’étonnerait même pas que celle concernée, soit un peu plus jeune qu’elle encore.