I'm sorry for what I did to you | Manil

"Merci à vous, passez de très bonnes fêtes de fin d'année et à bientôt !" Sourire aux lèvres, je profite du départ des derniers clients pour verrouiller la porte du Fauna&Flora et pour tourner l'écriteau sur "closed", signe de la fermeture du café pour aujourd'hui. Une journée bien remplie, surtout avec l'arrivée de la neige et du froid parmi nous qui poussent tout un chacun à venir se réchauffer à coup de boissons et de petits gâteaux gourmands. Une fermeture que nous ne faisons pourtant qu'à deux ce soir, alors que je me dirige vers la caisse pour compter la recette du jour, alors que les seuls bruits qui se font entendre sont les chants de Noël qui résonnent à travers la pièce. Chants de Noël entrecoupés par moment par les cliquetis en provenance de la cuisine ou Manil s'affaire à tout nettoyer et tout préparer pour le lendemain. Les jours ou nous fermons ensemble sont plus que rare, chose que je soupçonne être une volonté de sa part, probablement pour éviter tout malaise dans cet établissement qui nous tient à cœur à tous les deux et pour ne pas mettre Anya en porte à faux. Malgré ces nombreuses années loin l’un de l’autre le malaise n’en demeure pas moins palpable lorsque nous sommes ensemble, en même temps je serais bien mal placé pour le blâmer au vu de notre histoire. Au vu de ce couple que nous avons été pendant de nombreuses années. Un couple si différent et pourtant si complémentaire, si soudé dans les hauts comme dans les bas. Mais surtout au vu de la manière dont j'y ai mis un terme du jour au lendemain, sans dire un mot, bien trop honteuse de ma vie, de ma mère et de ses problème et voulant l'éloigner le plus possible de tout ça, alors que moi je me devais d’être présente pour mon petit frère.

Caisse comptée, je remonte chaque chaise sur leur table respective avant d'attaquer le nettoyage de la salle balais en mains, tandis que j'entends les portes de la cuisine grincer, signe du passage d’un employé à travers elle et donc signe de la présence du brun dans la même pièce que moi. Mes yeux se lèvent instinctivement vers lui et comme à chaque regard que je pose sur Manil, mon cœur rate un léger battement, reste de ses sentiments que j'ai toujours pour lui. Sentiments estompés par le temps certes, mais qui n'en demeure pas moins tendre, comme une sorte d'amour, de cicatrice, qui persiste malgré tout pour cet homme avec qui je me voyais finir ma vie. “Rude journée n’est-ce pas ?” Un sourire timide se pose sur mon visage. Une banalité que je sors de mes lèvres pour essayer de détendre cette atmosphère devenue soudainement pesante, comme si le froid de l’hiver venait soudainement nous frapper tous les deux et pénétrer dans mon être par chaque petit pore de ma peau.

Une journée terminée, pour une soirée qui débute étrangement. Nous nous côtoyons pourtant tous les jours, Manil et moi, mais il y à ce passé entre nous. Ses souvenirs et ce vécu que nous ne pouvons effacer ni occulter d’un revers de mains. Un passé qui nous pousse à prendre nos distances à cause de non dits dont je suis la seule et l’unique fautive. Passé qui nous pousse presque à agir comme deux inconnus et qui crée ce malaise dès que nous sommes dans la même pièce l’un et l’autre … Comme ce soir. Bien évidemment ce ne sont que des banalités qui sortent de mes lèvres. Un commentaire évident sur la journée que nous venons de passer, mais qui me permet d’entamer le dialogue avec le brun, sans qu’une gêne apparente ne s’affiche et j’insiste bien sur le “apparente”. « Effectivement, c'était assez rude. » Maigre réponse qui parvient à mes oreilles, en même temps que ce petit son. En même temps que ces tapotement que j’entends. Probablement ses doigts sur le plan de travail pour une vieille habitude qu’il à gardé lorsqu’il est peu à l’aise. Une vieille habitude qui ressurgit et qui ne peut empêcher un sourire attendrie d'apparaître sur mon visage malgré un regard qui à du mal à soutenir ses iris.   « Tu vas bien ? » Une pointe de surprise passe au travers de mon regard, alors que je m’apprête à jouer la carte de la politesse, alors que je m'apprête à répondre vaguement à sa question, mais sa prise de parole suivante me prends au dépourvu et me déroute quelque peu. « Je veux, dire, depuis tout ce temps. Pas seulement aujourd'hui. » Mes yeux plongent dans les siens alors que je sens mes sourcils se froncer légèrement, ne sachant plus quoi répondre devant cette question on ne peut plus sincère. Ma main droite vient soudainement au contact de ma tignasse brune, venant replacer des mèches de cheveux pourtant déjà bien en place, mais me donnant l’illusion de garder une certaine contenance devant Manil, illusion qui ne berne pourtant personne à mesure que mon regard se baisse, jugeant mes baskets plus intéressante que mon ex petit-ami. “Il y à eu des hauts et … beaucoup de bas, mais ça va … je crois.” Un élan d'honnêteté me gagne, me montrant qu’après toutes ces années je ne suis toujours pas capable de faire semblant devant lui et que seule la fuite me permet de ne pas lui révéler la vérité. “Et toi ?” Une question que je pose avec un réel intérêt alors que mon regard se lève de nouveau vers Manil, quelque peu effrayé par une réponse qui, je le sais, pourrait faire mal, mais en même temps avec l’espoir de l’entendre dire que tout est bien allé pour lui. Ma vision devient soudainement flou trop obnubilée par cet espoir qui pousse mes pensées à faire une rétrospective de notre passé commun, de tous ces beaux moments vécus, mais surtout une rétrospective d’un départ douloureux, d’un départ dont je n’ai jamais eu le courage de donner les raisons, ou même simplement d’en parler. Il s’agit probablement là de l’unique acte que je regrette dans ma vie, ce manque de cran, cette lâcheté qui aurait peut être pu changer beaucoup de chose, mais qui ne peut être modifier tant d’année après. “Manil j’aurai dû te le dire depuis bien longtemps mais …” Ma voix s’exprime par elle-même, sans que mon cerveau ne lui donne son accord, probablement dictée par ce poids que je ressens encore sur le coeur de n’avoir pas su parler au bon moment. “Je sais que ça ne changera pas le mal que j’ai pu te faire … mais je suis sincèrement désolée … pour tout ça.” Je refais le point sur le brun, haussant les épaules, sachant pertinemment que tout cela ne rime à rien, mais soulagée d’avoir le cran d’enfin le lui dire en face.